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À la même (1841).

Tu m’écris une petite lettre passablement bête[1]. Je ne crois pas à ce grand ennui qui t’accable, et dont tu ne penses pas un mot. C’est un genre de pensionnaire, que je connais. À mon couvent, on disait de même ; et, quand je sortais, je m’ennuyais encore plus de ne rien faire. D’ailleurs, comme on peut toujours échapper à l’ennui en travaillant, je te conseille de te désennuyer toi-même. Pour moi, cela ne m’attendrit pas ; et, comme les personnes ennuyées sont toujours ennuyeuses, quand tu voudras que j’aille te voir, tu feras bien de ne pas user de ce moyen-là.

… Je ne peux pas te donner un trousseau assez considérable pour satisfaire tes goûts d’élégance[2]. Tu auras la bonté de te contenter de changer comme les autres deux fois par semaine. Quand tu auras perdu ta coquetterie, je te laisserai faire comme tu voudras. Mais maintenant tu en abuserais, et tu deviendrais dix fois plus absurde que tu n’es, en fait de toilette, ce qui ne serait pas peu dire.

Là-dessus, j’ai bien l’honneur de te saluer. Si tu ne sors pas dimanche, j’irai te voir ; mais j’espère bien que tu ne te mettras pas dans ce cas-là, et que j’aurai le plaisir de t’embrasser à la maison.

Bonjour, ma grosse. Tâche de ne pas te casser la mâchoire à force de bâiller, de ne pas perdre l’appétit et le sommeil à force de t’ennuyer. Jusqu’à présent ta figure ne me donne pas beaucoup d’inquiétude. Ton frère t’embrasse, et Pistolet te donne la patte.


À la même.
13 août 1841.

Ma grosse chérie, ton frère part d’ici le 17 pour t’aller chercher. Il ira te voir le 19. Vous conviendrez de vos faits, vous ferez vos préparatifs de voyage, et tu partiras de Paris le 21 [au] soir. Vos places sont retenues dans le coupé, ainsi que te l’a dit Mlle de Rozières. Tu aurais su tout cela quelques jours plus tôt, si on avait pu compter sur du calme et de la raison de ta part. Mais, craignant que la joie ne te fît négliger tes devoirs, j’ai désiré que tu fusses informée de cette bonne nouvelle au dernier moment. J’espère que tu ne gâteras pas ma joie, à moi, par de mauvaises notes sur la fin de ton travail, et que l’année prochaine tu ne seras plus assez enfant pour qu’on soit obligé à ces petits mystères. Maintenant j’espère que tu es contente, et que tu viens avec la résolution de modifier ton caractère avec nous. Nous te chérissons, ton frère et moi. Mais nous ne nous faisons pas illusion sur certains défauts que tu as à corriger et que tu

  1. Le ton de rudesse affectée de cette lettre s’explique par la crainte de paraître trop sensible à certaines plaintes ; Solange en eût abusé.
  2. Rien ne coûtait à George Sand pour l’éducation de sa fille. Elle ne ménageait rien non plus pour les « chiffons, » dont elle parle à l’occasion avec agrément. Mais Solange était coquette et exigeante sur cet article.