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Après cette alerte, George Sand n’eut pas le courage de se séparer tout de suite de sa fille. Solange et Maurice vont vivre ainsi trois ans côte à côte, tantôt à Nohant, tantôt à Paris, partageant la vie de leur mère, en familiarité avec ses amis.

Ils voient Sainte-Beuve, Calamatta, Delacroix, Charpentier, et bientôt après Chopin. Calamatta, qui a dessiné et gravé le portrait de George Sand, veut aussi faire celui de Solange (mai 1837). Charpentier, qui expose au Salon de 1839, le très beau portrait[1]dont s’est inspiré M. Sicard pour la charmante statue du Luxembourg, donne à ce portrait deux pendans, et peint aussi Maurice et Solange[2]. De Sainte-Beuve et de Delacroix, Solange avait conservé deux souvenirs, l’un désagréable, l’autre pittoresque.

Un jour elle entre avec sa mère chez Sainte-Beuve. Celui-ci la regarde curieusement. L’enfant rit ; elle avait une grande bouche, et perdait ses dents. « Vous ferez bien d’être bonne, dit Sainte-Beuve, car vous ne serez jamais belle. » Le mot ne lui fut pas vite pardonné. Quant à Delacroix, il peignait alors le portrait de George Sand aux cheveux flottans, qui appartient à Mme Buloz. Un jour que la fillette accompagnait sa mère, il considéra attentivement sa physionomie. « Mais elle serait très bien, dit-il, s’il ne lui manquait… » et son doigt indiquait l’arcade sourcilière : « Il faut une ombre, là ! » Il saisit un pinceau chargé de brun, et, en deux traits, improvisa deux magnifiques sourcils. « Depuis, disait plaisamment Solange à soixante-dix ans, par respect pour Delacroix, j’en ai toujours porté. »

Chopin, qui semble avoir été présenté à George Sand dès 1837, fut rencontré par elle dans l’espèce de salon littéraire que Mme d’Agoult tenait alors à l’Hôtel de France, à son retour du Léman. Les relations s’établirent très vite, au courant de l’hiver 1837-1838. Nous en verrons ailleurs la suite. Solange ne semble pas avoir vu d’abord d’un bon œil ce nouveau venu, qui, malgré sa timidité et sa douceur, tenait déjà chez sa mère

  1. Ce portrait fut reproduit par l’Artiste, année 1839. La toile était d’abord rectangulaire. Solange fit (à tort croyons-nous) rogner les angles et annulé la rature ovale. Il appartient aujourd’hui à Mme Lauth-Sand, Le portrait projeté de Solange par Calamatta ne semble pas avoir été suivi d’exécution.
  2. Ces deux portraits occupent une place d’honneur dans le salon de Nohant. Maurice est de face ; Solange de profil à droite. La ligne du profil jusqu’au nez est presque droite et très pure ; la lèvre supérieure légèrement en retrait ; l’œil intelligent et froid. Pas de sourcils. Aspect général du visage, volontaire et mutin.