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Je laisse ton frère continuer. Bonsoir, ma bonne grosse. Travaille bien, je t’en prie ; pense à ta vieille. À toute heure du jour et de la nuit tu peux être sûre que je m’imagine être près de toi, soit en rêve soit en pensée… Je t’embrasse mille fois, mon cher baron[1]. Porte-toi bien et écris-nous. Ta mignonne qui t’aime.


Deux mois après, George Sand retirait Solange de l’institution Martin. Les progrès lui paraissaient-ils un peu lents, la direction pas assez ferme ? Il est fort probable. Les lettres de Mlle Martin ne dénotent point les qualités qu’accuseront plus tard celles de Mme Bascans. George Sand avait d’ailleurs trouvé, auprès d’elle, une gouvernante selon son cœur dans la personne de Marie-Louise Rollinat[2], la sœur de ce François Rollinat auquel elle était si profondément attachée. Voilà Solange rendue à la vie de Nohant et George Sand entourée de ses enfans et de leurs maîtres. Plusieurs mois se passent dans le calme. Puis, coup sur coup, George Sand perd sa mère, et M. Dudevant profite d’une absence de sa femme pour enlever de vive force sa fille, malgré la résistance de Mlle Rollinat. George Sand court après lui, à Guillery, et met la maréchaussée à ses trousses. Les détails de cette reprise, opérée par la force armée, se trouvent dans la correspondance imprimée (lettre à Duteil du 30 septembre 1837). George Sand trouva sa fille sans peur, excitée par le sentiment du danger, presque fougueuse. « Nature d’aigle ! » s’écrie-t-elle. Dans une autre circonstance elle avait déjà noté cette bravoure innée. La lettre imprimée de la mère doit être complétée par ce barbouillage d’enfant, griffonné en chaise de poste, document véridique (à l’orthographe près) de cette mémorable aventure. Solange à son frère :


Mon cher petit mignon, ne pleure pas, je suis retrouvée. Ne te désole pas. Pour me rendre à maman il y avait trois gendarmes bien mignons, un petit pas vieux, Mallefille, le sous-préfet, l’huissier, et [un] bien, bien, bien vieux officier de gendarmerie. T’avais dit, à Mallefille de nous ramener toutes deux ; il te tient promesse, car il nous amène toutes deux. Mon père était en colère quand il a vu les gendarmes. J’ai été aux Pyrénées. J’ai vu la brèche de Roland. J’ai été à cheval au galop. J’arrive en grande poste avec trois chevaux pour te voir et te biger à mon aise, n’est-ce pas, mon gros mignon ? À Lourdes, [les] maisons et les ponts sont bâtis en marbre. J’ai [vu] le Marboré et des cascades de 12 et de 6 pieds. Adieu, mon mignon, porte-toi bien.

  1. Surnom donné à Solange, qui aimait à se dire fille d’un baron (Dudevant). Il lui resta longtemps. Ses intimes appelaient encore Mme Clésinger « le Baron. »
  2. Voyez Corresp., t. II, p. 59, 89, et Hist. de ma vie, IV, 408.