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morale publique et de la sainteté du mariage, ou si une espèce d’argousin que le sort m’a donné pour maître doit déguerpir du pays et me laisser libre[1]. » Mais enfin elle obtient gain de cause. Le 26 février 1836, elle peut écrire à Mme d’Agoult : « Grâce à Dieu, j’ai gagné mon procès, et j’ai mes deux enfans à moi. » Cependant elle craint des persécutions, du moins pour l’aîné, déjà en âge de comprendre et de souffrir. Elle affermit Maurice dans une lettre admirable :


Je crains que tu n’éprouves quelque chagrin à cause de moi…Écris-moi. Sois courageux et ne crains rien ; c’est à moi de souffrir à ta place ; si l’on te persécute, je saurai bien te défendre. Dis-moi tout. De près comme de loin mon amour veille sur toi ; tu es ce que j’ai de plus précieux au monde. On m’arracherait plutôt le cœur de la poitrine que mes enfans de mes bras. Je suis malade, je ne t’écris qu’un mot, j’ai besoin de tes lettres pour vivre… Nous ne faisons qu’un toi et moi ; quand tu payes la dette de mes amitiés, c’est comme si je la payais moi-même. Adieu, mon enfant ; mon seul bonheur, ma seule espérance, c’est toi.

De ta conduite d’aujourd’hui dépend peut-être tout notre avenir. [M. Dudevant était alors à Paris et visitait son fils au lycée.] Si tu te montres ferme dès le commencement, on n’essayera plus de nous persécuter. Ne cède ni aux séductions, ni aux calomnies, ni aux menaces. Si on te maltraite, dis-le-moi tout de suite, je volerai près de toi[2].


Là-dessus, le mari faisait appel (juin 1836). Nouvel obstacle, nouveau retard, d’ailleurs de peu de durée. Quelques concessions voient la fin des résistances. « 30 juillet : Chère maman, tout est terminé, et je suis enfin tranquille et libre pour toujours. » — 1er août, à Boucoiran : « Je suis à Nohant depuis hier avec ma fille. Je prendrai Maurice au commencement de septembre, et j’irai faire un petit voyage à Genève, puis à Lyon[3]. » Le voyage ainsi annoncé était celui qu’elle accomplit en effet, mais un peu plus tôt (fin août) pour rejoindre le couple romanesque qui rééditait à ses risques, sur le haut du Salève, l’aventure de Venise, Liszt et Mme d’Agoult[4]. L’ivresse de l’indépendance et les joies maternelles firent de ce voyage une jouissance profondément savourée. De retour à Nohant en octobre, George Sand écrivait aussitôt à Liszt : « Je n’ai plus

  1. 14 janvier 1835. — Inédite, communiquée par Mme Maurice Sand.
  2. Mai 1836. — Inédite, communiquée par Mme Maurice Sand.
  3. Fragmens de deux lettres inédites, communiquées par Mme Maurice Sand.
  4. Voyez Revue de Paris du 15 décembre 1894, Une amitié romanesque. George Sand et Madame d’Agoult, par S. Rocheblave.