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Hippolyte Chatiron de veiller sur elle : « Engage Casimir (M. Dudevant) à garder Solange et à ne pas la mettre en pension avant mon retour (16 mars). » Et, Casimir ayant témoigné autant de complaisance comme père qu’il en avait montré comme mari, elle exprime sa satisfaction à Hippolyte : « Je suis enchantée que mon mari garde Solange à Nohant (6 avril). » Le 31 août, au plus fort de la crise, ses adieux solennels à Boucoiran sont traversés de ce soupir : « Solange est charmante, et je ne peux pas l’embrasser sans pleurer[1]. » Le 10 septembre, son adieu à Néraud revêt cette forme romanesque : ou elle se tuera, ou elle enlèvera sa fille pour aller vivre avec elle en ermite à la Louisiane[2].

L’année 1835, qui vit au printemps les dernières convulsions du drame Sand-Musset, vit en automne les premières péripéties du procès Sand-Dudevant. La scène violente qui fournit la base judiciaire de la demande en séparation, se passa à Nohant, le 19 octobre. L’épouse outragée fut dès lors intransigeante. Inflexible quant au but à atteindre, d’ailleurs accommodante et même généreuse sur les conditions matérielles, elle ne pensait pas à elle seule, mais à ses enfans. À sa mère, qui redoutait l’esclandre, elle répond vertement : « Rien ne m’empêchera de faire ce que je dois et ce que je veux faire. Je suis la fille de mon père, je me moque des préjugés… Je me soucie peu de l’univers, je me soucie de Maurice et de Solange. » (25 octobre 1835.) Et à Guéroult : « L’opinion publique est une prostituée qu’il faut mener à grands coups de pied quand on a raison. » (9 novembre 1835.) Menacée d’être dépossédée de Nohant, son patrimoine, elle comptait bien cependant, avec sa terrible volonté, « s’y établir avec sa fille, s’occuper de son éducation, et ne plus aller à Paris que de temps à autre pour voir sa mère ainsi que son fils. » (À sa mère, 25 octobre.) En attendant, elle doit fuir Nohant. Un instant, elle n’a plus de domicile : « Mon cher ami, — écrit-elle à Guéroult, — hier j’avais une terre, un château, un jardin, des serviteurs, des appartemens pour vous recevoir, une table pour vous réconforter. Aujourd’hui, je n’ai même plus un domicile, et j’ai trouvé un refuge chez Duteil à La Châtre, jusqu’à ce que le tribunal vénérable de céans ait décidé si je dois être injuriée et battue au nom de la

  1. Fragment inédit de la lettre imprimée sous la date du 31 août 1834.
  2. Idem, 10 septembre 1834.