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qu’est le travail dans l’État et dans la société modernes. Depuis un siècle, et surtout depuis un demi-siècle, c’est, de tous les phénomènes sociaux, le phénomène prédominant. « Il n’est sans doute pas, à lui seul, toute la société, mais il est devenu vraiment comme Taxe autour duquel tourne toute la société, ou comme l’âme qui la fait toute sentir et vivre toute. On ne saurait toucher au travail sur un point sans provoquer, à travers tout le corps social, et d’une de ses extrémités à l’autre, des séries et des séries d’incidences et de répercussions[1]. » Si bien que le travail n’est plus seulement le travail ; je veux dire : ce n’est plus seulement le travail en soi ; « c’est le travail et les circonstances du travail ; le travail et les maladies du travail ; le travail et l’hygiène, ou la médecine, la thérapeutique du travail ; un cycle entier à parcourir de l’apprentissage à la retraite, en passant par le chômage, par les grèves, par les accidens ; en tenant compte de ce que gagne l’ouvrier, de ce qu’il dépense et de ce qu’il épargne, en apprenant comment il est logé, quand il commence et où il finit ; à travers les innombrables implications et imbrications de ce fait, de ce phénomène à première vue assez simple, du travail, dans le lacis des faits ou phénomènes sociaux[2]. » Tout cela n’est pas le travail, ne l’est pas grammaticalement, au pied de la lettre, dans la rigueur du terme ; et pourtant, socialement, c’est le travail ; mais si tout cela l’est socialement, et si le droit n’est autre chose que la règle de vie des sociétés, cela doit l’être juridiquement ; et tout cela, par conséquent, doit être dans un Code du travail.

Il y a une raison de plus pour que nous l’y mettions ; toujours la même. Le Code du travail nous servira d’abord à éclairer notre marche fatale vers l’inconnu ; mais cet inconnu, nous le connaîtrions à peine moins mal, si nous n’en explorions qu’un tout petit coin. Un falot, dans la nuit, ne fait pas la lumière : il faut en allumer et en promener partout pour dissiper la puissance des ténèbres.


CHARLES BENOIST.

  1. Voyez la Revue du 15 décembre 1900.
  2. Revue du 15 décembre 1900.