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qui s’accompliront par la nécessité. Au point où nous en sommes, et historiquement, de cette double nécessité politique et économique, de la double transformation de l’Etat et du travail, devait sortir et est en effet sortie la législation ouvrière, rare auparavant, abondante, ininterrompue depuis 1848.


II

Très rare avant 1848, à l’exception d’une trentaine de lois, décrets ou arrêtés de la période révolutionnaire, — et encore portent-ils plus spécialement sur ce que nous avons autre part appelé les circonstances, les maladies, et la médecine du travail, non pas sur le travail en soi, sur les conditions du travail à l’état normal, à l’état de santé. Sur ce point, rien avant la loi du 22 germinal an XI (12 avril 1803), qui traite en l’un de ses titres du louage de services, en un autre de l’apprentissage, mais qui, bien que s’inspirant en apparence du principe nouveau de l’égalité de droit, se rattache à l’ancienne législation plutôt qu’à la législation moderne du travail[1]. Rien non plus ou si peu que rien dans le Code civil ; et, de là, pendant cinquante ans, une très grande lacune dans nos lois, et dans nos institutions sociales, comme un trou béant qu’a dû recouvrir peu à peu, mais que n’a pas encore comblé la législation ouvrière, si ramifiée et si touffue, du demi-siècle qui a suivi. Cette lacune du Code civil, les jurisconsultes n’ont pas attendu, pour la signaler, qu’une sorte de surenchère sentimentale — ou électorale — s’en mêlât. Il y a longtemps que nous entendîmes pour la première fois l’honorable doyen de la Faculté de droit de Paris, M. Ernest Glasson, s’en plaindre devant l’Académie des sciences morales et politiques, presque dans les mêmes termes que ceux dont nous nous sommes, à notre tour, servis : « Le Code civil, disait-il, n’est que l’ensemble de la législation du capital ; il ne s’occupe pas de la législation du travail ; c’est un Code bourgeois et non un Code populaire[2]. » Tout récemment, à l’occasion de la célébration du centenaire du code de 1804, M. Glasson le répétait

  1. Cité dans le Rapport sur la question de la révision du Code civil (à l’occasion de la célébration de son centenaire) présenté à la Société d’études législatives et à la Société de législation comparée par M. E. Thaller, professeur à la Faculté de droit de l’université de Paris.
  2. Voyez, dans la Revue du 15 mars 1901, notre article, le Travail, le Nombre et l’État. — I. les Faits.