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ouvrières. Et qu’elle soit fortement fondée en fait, cela pourrait aussi dispenser au besoin de rechercher si elle est fondée en théorie. Cependant on n’en est plus nulle part, même en Allemagne (et en Allemagne peut-être moins qu’ailleurs), à traiter avec le mépris tout manchestérien qu’y mettaient les docteurs d’il y a trente ou quarante ans, — les Holtzendorff ou les Bluntschli[1], — la « théorie du vieux droit public » sur « la mission de bien-être, » sur le Wohlfahrtzweck de l’Etat. Même les professeurs allemands dans leurs chaires, il a bien fallu qu’ils ouvrissent les yeux à la réalité et qu’ils entendissent le fait qui criait à la porte. Là comme partout, le suffrage universel, en renversant ou retournant l’Etat, a contraint les théoriciens à corriger la théorie ; et aujourd’hui, ni les Jellinek[2], ni les Gierke et les Preuss, ni un Laband (pour ne point parler, en Autriche, d’un Anton Menger, très enclin au socialisme[3], ne montreraient une si superbe intransigeance, dans un temps et dans un pays où une société de savans, économistes ou praticiens, s’occupe à rédiger et à répandre un Manuel très complet du « bien-être de l’ouvrier, » — le mot y est expressément, — Handbuch der Arbeiterwohlfahrt[4].

A dire le vrai, c’est une question de mesure et ce n’est qu’une question de mesure. La formule totale serait : c’est une question de mesure dans des questions d’espèce. Maintenant, comment contester que la mesure ne soit pas facile à trouver ? Même une fois établie, en politique et en économie politique, en fait et en théorie, la légitimité de l’intervention de l’Etat dans l’organisation du travail, comment en esquiver toutes les difficultés ? — Difficultés d’ordre philosophique et en quelque manière physiologique, pour ce qui touche la réglementation des conditions et, par exemple, de la durée du travail. Si tout le monde admet sans trop de peine que cette réglementation soit possible et désirable pour les enfans mineurs et pour les femmes, traitées en mineurs

  1. Voyez Bluntschli, Théorie générale de l’État, livre V, « le But de l’État, » et Holtzendorff, Principes de la politique, ch. VII, « Des divers objets de la mission idéale de l’État d’après la théorie générale du droit public. »
  2. Voyez notamment Jellinek, Das Recht des modernen Staates, t. I (1900), Allgemeine Staatslehre, ch. VIII. Die Lehren vom Zweck des Staates, p. 233-236. — Cf. Ihering, Der Zweck im Recht, t. I, ouvrage déjà ancien (1871).
  3. Voyez Anton Menger, Neue Staatslehre (1903). Cf. du même, Das bürgerliche Recht und die besitztosen Volksklassen, 3e édition (1904).
  4. Handbuch der Arbeiterwohlfahrt, herausgegeben von Dr Otto Dammer, 2 vol. gr. in-8o. Stuttgart, Ferdinand Enke (1902-1903).