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socialisme utopiste, communiste-collectiviste, révolutionnaire, celui qui se proposa de détruire de fond en comble l’état social existant pour en construire un chimérique, ce n’est pas lui, il y a des années que je le dis, qui sollicite le plus notre attention quant à présent. De tels projets, par leur manifeste impossibilité et leur violence brutale, excluent de la part de l’État toute autre résolution que celle de les combattre à toute outrance, en y employant tous les moyens que les nations déposent en ses mains. Ce qui a, dès maintenant, une bien plus grande importance, c’est que, déjà instruits de leur égalité juridique, et près de s’instruire du récent pouvoir que leur donne l’égalité électorale, les prolétaires réclament et même exigent des choses qui, si elles ne sont pas toujours réalisables, paraissent l’être à première vue, fait qui, à leurs yeux, excuse leurs prétentions. Pour tout dire d’un mot, le suffrage universel tend à faire du socialisme une tendance, menaçante peut-être, indiscutablement légale[1].


La citation est un peu longue, mais je ne crois pas qu’on puisse rendre plus vigoureusement une pensée plus claire, plus juste, et, dans le vrai sens du terme, plus « nécessaire. » D’autre part, certaines parties de ce morceau ont sans doute un peu vieilli, tant les choses sont allées vite, mais l’ensemble en demeure solide, fondé sur ces deux points comme sur deux colonnes : 1° Ce qui doit pour l’instant nous préoccuper, ce n’est pas le socialisme utopiste, communiste-collectiviste, révolutionnaire, le socialisme de violence auquel l’Etat ne peut répondre que par la force (quoique la force de l’État soit en train de passer, chez nous du moins, sans qu’on y prenne garde, du côté des socialistes ou qu’elle se soit rapprochée d’eux) ; c’est le socialisme légal ou légalitaire, celui qui quotidiennement s’insinue, se dépose, se cristallise dans les lois, à qui appartient en propre le nom de socialisme d’Etat, et qu’on ne supprime pas plus en le niant qu’en le dénonçant, parce qu’il est le produit naturel des principes qui ont inspiré la révolution de 1789 et, de ce fait, le suffrage universel, où s’est perpétuée la révolution de 1848. 2° Nous allons par cette voie légale vers l’inconnu, — et, au fond de cet inconnu, il est possible qu’il y ait, il est probable, il est certain qu’il y aura du socialisme d’État, « mais il n’est plus temps de le regretter, il n’y a plus qu’à marcher virilement. » Au reste, s’il ne dépend pas de nous qu’il y en ait ou qu’il n’y en ait point, du moins dépend-il de nous qu’il y en ait dans une plus ou moins grande mesure. S’il ne nous est plus permis de ne pas

  1. Canovas del Castillo. Problemas contemporaneos, t. III, p. 491-493.