Page:Revue des Deux Mondes - 1905 - tome 25.djvu/76

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

cause les hommes qui ne sont plus. Je n’en parlerai que dans la mesure où il est nécessaire pour apprendre à mieux connaître l’âme de Montalembert et l’ardeur de sa foi. Mais comment, à première vue, ne pas se récrier à la seule pensée qu’il ait pu démériter de son Église, trahir les siens ou être trahi par eux, cet homme qui avait affirmé sa foi avec tant d’éclat dans ses jeunes années, prêt à tout sacrifier pour la servir ; cet homme en qui les évêques de France voyaient le centre et l’âme de l’action catholique dans tout le pays ; cet homme dont les discours faisaient pleurer de joie Pie IX, et dont ce pape disait qu’il le considérait comme le premier de ses défenseurs et l’un de ses meilleurs amis ? Le même Pontife, chassé de Rome, n’avait-il pas déclaré bien haut que c’était lui qui avait eu le premier l’idée d’organiser le denier de Saint-Pierre, et, de retour de l’exil, ne l’avait-il pas fait élire patricien romain en 1850 ? Louis Veuillot ne lui avait-il pas écrit un jour : « C’est mon grand orgueil d’être un de vos soldats ? » Le supérieur général des Jésuites, le Père Roothan, n’avait-il pas dit de lui après, lui avoir vu braver la pire des impopularités pour défendre les ordres religieux : « Je sais la reconnaissance que je lui dois, et j’espère avec la grâce de Dieu ne jamais manquer à ce qu’elle exige de moi ? »

Etrange ironie de la destinée ! Les premières manifestations d’un revirement si contraire à toute prévision coïncidèrent avec ce qui paraissait être un éclatant triomphe pour Montalembert, le succès de la campagne entreprise pour la conquête de la liberté d’enseignement. Il croyait, en effet, pouvoir se féliciter d’une victoire chèrement achetée, quand il se trouva en présence des plus amers reproches de la presse catholique, et d’une portion du clergé. Cette loi de 1850 n’était plus aux yeux de ses détracteurs qu’une défaillance de la raison et de la conscience : elle faisait de l’Eglise la servante de l’Université ; Montalembert avait passé à l’ennemi, désavoué son programme ; pour quelques-uns même, il était le fauteur imprudent d’un projet de loi schismatique. Ce ne fut pas trop de l’intervention personnelle du Pape, après le vote définitif de la loi, pour la faire accepter de tous et calmer les appréhensions. A l’user, on reconnut bien vite le prix de la nouvelle conquête ; mais Montalembert constatait avec chagrin que les méfiances ne s’effaçaient pas ; il sentait qu’il avait peine à retrouver sa popularité, et bientôt certaines circonstances