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Il faut avoir vu Montalembert au moment où le Père Hyacinthe se séparait de l’Eglise, pour se rendre compte du coup que lui porta cette résolution. Son état de santé s’aggrava aussitôt. Une se consolait pas d’être condamné, disait-il, à assister deux fois dans sa trop longue vie à des catastrophes comme celle de M. de Lamennais et celle-là. Depuis quelque temps, il est vrai, il s’était inquiété de certaines audaces du Père Hyacinthe. Il avait constaté chez lui une absence d’équilibre, une tendance à s’affranchir des obligations de la religion chrétienne, qui l’avait mis en éveil Aussi, malgré son état de santé, malgré ses crises fréquentes, avait-il multiplié les efforts, les témoignages de sollicitude, pour le maintenir dans l’orthodoxie. Mais de ces inquiétudes à craindre une apostasie, à prévoir ce congé injurieux signifié tout à coup à l’Eglise, à ses frères, à ses amis les plus chers et les plus dévoués, il y avait bien loin. Au premier instant, il se refusa à admettre la réalité du bruit qui lui était rapporté. Lorsque le doute ne fut plus possible, il ne put maîtriser une émotion qui eut son retentissement jusque dans le fond de son être. Le suprême appel qu’il adressa au Père Hyacinthe est, comme l’a dit M. Emile Ollivier, un des cris les plus pathétiques qui soient sortis du cœur humain.


V

Montalembert était destiné à connaître une épreuve plus douloureuse encore que celle de voir sa foi désertée par ceux qui l’avaient personnifiée à ses yeux : c’était d’être, ou du moins, de se croire lui-même abandonné et désavoué par cette Eglise, à la défense de laquelle il s’était si passionnément consacré. Souffrir pour elle, comme on l’a si bien dit, c’était son ambition, mais souffrir par elle, quelle extrémité inattendue et cruelle ! Et pourtant, il en devait être ainsi.

Les pages qui vont suivre en donneront la preuve. Mais le lecteur pourra se montrer surpris que, après avoir parlé des épreuves de la jeunesse de Montalembert, je m’attache à raconter celles de ses dernières années, ne mettant ainsi en lumière que les déboires de cette grande vie, sans en faire connaître la partie brillante, active et glorieuse. Il y aurait eu, si mon sujet l’avait permis, une belle période à retracer : ces six années du gouvernement de Juillet, de 1843 à 1848, durant lesquelles Montalembert