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de la sincérité. Ce n’est pas de cela qu’on se préoccupait, c’est de la délation. Quand M. Combes disait qu’il n’avait pas été battu dans sa politique, il disait vrai : il l’avait été dans ses procédés de gouvernement. Ces procédés, à l’usage, avaient paru odieux. M. Combes était violent, brutal, vindicatif, et à tous ces défauts qui rendaient déjà son gouvernement insupportable, il ajoutait un déploiement de capacités policières qui lui permettaient d’exercer sur les membres de sa majorité, lorsqu’ils faisaient mine de l’abandonner, une intimidation voisine du chantage politique. Jamais on n’a fait marcher les hommes par des moyens aussi bas, M. Millerand a dit un jour : aussi abjects. Ce triste régime aurait pu néanmoins durer quelque temps encore, lorsque le scandale des liches a éclaté. Il y a eu un premier moment de stupeur générale, et M. Combes lui-même n’y a pas échappé. Le coup avait été trop fort ! La honte avait été trop grande ! Mais bientôt on a essayé de se ressaisir, et on a cru qu’on y parviendrait avec de l’audace. L’audace n’a pas suffi, sinon pour la Chambre, au moins pour le pays. Celui-ci, grâce à Dieu, a des instincts déloyauté et d’honneur qui ont survécu et qui continueront de survivre à toutes les épreuves : il a pu transiger sur tout le reste, mais non pas sur cela. L’émotion a été immense ; elle s’est traduite par des manifestations répétées. M. Combes en est mort. La délation, qui a été le vice de son système de gouvernement, l’a tué. Il a eu beau ruser, équivoquer, s’humilier, se vanter ; tout a été inutile, il a fallu qu’il s’en allât. Dès lors, au milieu de l’insignifiance relative ou occasionnelle de toutes les autres questions, une seule se dressait devant ses successeurs. On se demandait quelle serait leur attitude à l’égard de la délation et des délateurs, et on leur faisait provisoirement grâce de tout le reste.

La première confrontation du ministère et de la Chambre a eu lieu enfin le 27 janvier. Tout était incertitude au commencement de la séance ; tout s’est éclairci peu à peu à mesure qu’elle se déroulait, et la conclusion en a été le vote d’un ordre du jour qui a donné au gouvernement une majorité de 300 voix. Il y a eu cent et quelques voix d’opposition : ce sont celles des socialistes et d’un certain nombre de radicaux-socialistes, c’est-à-dire du groupe qui faisait la loi à l’ancienne majorité et à M. Combes et qui, pendant plusieurs années, a exercé sur nous une lourde tyrannie. Peut-être M. Rouvier n’avait-il pas a priori l’intention de s’en affranchir, et nous n’oserions pas dire que cette influence ne le ressaisira pas un jour ou l’autre ; mais la situation, ce jour-là, était si claire et si forte qu’il lui a été impossible de ne pas s’en inspirer. Il l’a d’ailleurs fait courageusement. Il ne s’est pas