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rien demandé ni rien reçu ; ils se sont effacés discrètement, laissant M. Rouvier parfaitement libre dans ses choix. Mais les groupes avancés n’ont pas imité cette réserve. Jamais encore on n’avait vu se déployer, s’étaler, se déchaîner un aussi furieux appétit à la curée. Les groupes de la Chambre ont décidé qu’il leur fallait sept portefeuilles et que le Sénat n’en aurait que trois. Alors, dans les deux assemblées, chaque groupe a émis ses exigences, et avec quelle raideur ! et avec quelle âpreté ! Une fois pourvu, le groupe se réunissait d’ailleurs pour déclarer fièrement qu’il ne se sentait nullement engagé par l’introduction d’un de ses membres dans le ministère, et qu’il gardait toute sa liberté. A quoi bon, alors, avoir obéi à des sommations si impérieuses ? Pour avoir un plus grand nombre de portefeuilles à se partager, les radicaux socialistes avaient commence par poser en principe qu’aucun des membres du cabinet Waldeck-Rousseau qui avaient pris parti contre son successeur n’entrerait dans la nouvelle combinaison. C’était un crime inexpiable d’avoir combattu M. Combes et de lui avoir rendu la vie décidément impossible. Ce crime, MM. Millerand, Georges Leygues, Caillaux l’avaient commis : ils étaient donc frappés d’une incapacité ministérielle. S’il ne s’agissait que de leurs personnes, on se résignerait ; mais l’ostracisme dont ils ont été victimes est une monstruosité parlementaire, et il est regrettable que M. Rouvier s’y soit soumis. On l’a vu deux jours de suite courir à la poursuite de M. Sarrien, qui devait être « le pivot de sa combinaison. » M. Sarrien s’est obstinément dérobé. Pendant ce temps, MM. Poincaré et Jean Dupuy, auxquels il avait fait des ouvertures et qui les avaient accueillies, réfléchissaient profondément. Ils voyaient la combinaison initiale se modifier peu à peu. Ayant déjà été ministres, ils n’étaient pas de ceux qui courent après un portefeuille. Aussi se sont-ils retirés pour en laisser un plus grand nombre à la disposition des amateurs. C’est du moins la raison qu’ils en ont donnée : y croira qui voudra. M. Rouvier a donc perdu en cours de route MM. Sarrien, Poincaré et Jean Dupuy qui semblaient être, au début, les élémens essentiels de son ministère : d’où il est permis de conclure qu’il n’a pas fait celui qu’il voulait faire, et qu’il a dû se contenter de celui qu’il a fait.

Le résultat est médiocre. Il ne reste de l’ancien cabinet que MM. Rouvier, Delcassé, Chaumié et Berteaux : il y a donc sept ministres nouveaux dont quelques-uns sont encore peu connus et ont leurs preuves à faire. Le ministère le plus important peut-être dans notre politique intérieure est actuellement celui de l’intérieur : il a été confié à