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vraiment surnaturel, est celui qui s’élève du milieu du naufrage, autour de l’enfant aveugle, qui le premier voit Jésus. Le dessin de la mélodie, le chromatisme léger, l’accompagnement circulaire et lumineux comme un nimbe, tout s’accorde pour donner ici la mystérieuse et mystique impression du ravissement et de l’extase.

Dans l’uniformité du sentiment général, la musique a su discerner des nuances délicates. Il est très remarquable que les deux petits meneurs d’enfans, Alain plus encore qu’Allys, ne chantent pas comme les enfans qu’ils mènent. Certaine page est à cet égard tout à fait significative. Nous voulons parler de la réponse d’Alain aux objections tour à tour matérielles, ou pratiques, et sentimentales, que font les pères, puis les mères, à la résolution des petits pèlerins. « Jésus nous donnera du pain blanc, et nous vivrons comme les oiseaux du ciel. Jésus nous donnera l’eau limpide du ciel… » Mais que sert de citer les mots ! Il faudrait pouvoir citer les sons, transcrire les mouvemens, les rythmes et les timbres, suivre, pour qu’on le suive avec nous, le cours gracieux de la mélodie à travers les tonalités qui l’éclairent ou l’assombrissent, parmi les harmonies qui la retiennent un moment, puis s’entr’ouvrent devant elle et la laissent passer. Alors, mais seulement alors, vous comprendriez et vous sentiriez ce que nous savons à peine dire : que le petit aveugle chante, les voyant au dedans de lui-même, des choses subtiles et profondes que les yeux de ses compagnons ne voient pas, que leurs lèvres ne peuvent ni ne doivent chanter.

La vocalité de l’ouvrage et, — passez-nous le barbarisme, — sa « choralité » n’en exclut pas la symphonie, au double sens du mot : que ce soit la vie et la couleur instrumentale, ici partout répandue ; ou bien, comme dans le prélude de la première et dans celui de la seconde partie, le principe même, appliqué modérément, à la française, du développement des idées et de leur combinaison.

Pleine de grâce et de charme, cette musique a montré qu’elle sait être capable aussi d’élévation et de grandeur. Loin de se presser et de se rétrécir, comme tant d’autres, en terminant, l’œuvre se dilate et s’épanouit alors avec une véritable magnificence. Il y a là tout autre chose qu’une coda banale, qu’un ensemble favorable à la sortie hâtive des auditeurs. Je conseille à ceux-ci d’attendre le dernier accord. À la fin d’une œuvre, ou d’une vie, il n’est pas mauvais d’obéir au conseil de l’oracle et de ne faire, pendant quelques instans, que de la musique. Le musicien de la Croisade des enfans a pris ce parti ; c’est bien. C’est mieux encore de l’avoir pu soutenir. En un vaste épilogue, sa