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portée, comme pénétration, comme simplicité, comme charpente, comme force, comme profondeur, toute la spéculation chrétienne est de beaucoup surpassée. Si ce système était en conflit avec le dogme, les intérêts catholiques péricliteraient, un grand nombre de catholiques se détacheraient. » Le futur professeur Sepp faisait écho : « Le cœur ne nous brûlait-il pas lorsque Schelling parlait ? » Encore que la théorie des trois Eglises, pétrinienne, paulinienne, johannique, fût aussi malaisément acceptable que l’était cette « christologie, » de bons esprits parmi les catholiques bavarois, Ringseis, Michel Strodl, crurent longtemps qu’une philosophie chrétienne pouvait s’adapter au système de Schelling ; et depuis Patrice Zimmer au début du siècle jusqu’à Rosenkranz en 1868, des essais furent tentés pour cette adaptation.

Munich s’enorgueillit lorsque, à l’avènement de Frédéric-Guillaume IV, l’université de Berlin fit venir Schelling pour vaincre cet hégélianisme qui, après avoir été sous le règne précédent l’une des colonnes de l’État prussien, devenait, avec les jeunes hégéliens, une école de radicalisme révolutionnaire. Une médaille, frappée à Berlin en 1830, avait représenté Hegel en philosophe antique, écrivant sous la dictée d’un ange, qui lui-même s’appuyait sur la Religion, et, dans les bras de la Religion, la croix du Christ se dressait. Ainsi se traduisait, même pour rendre hommage à Hegel, le besoin de l’intelligence allemande, de rapprocher toujours la philosophie et la religion. Là où l’hégélianisme avait échoué, Schelling réussirait peut-être… « Il est, avant tout autre, disait Sulpice Boisserée, appelé à résoudre les plus importantes questions de la philosophie et de la religion, » et dès 1836, de Berlin, le sculpteur Rauch écrivait : « Tous les yeux se portent vers Schelling avec un regard de feu. » Les Bavarois cédèrent à ces regards de feu : il leur agréait d’apprendre que les Berlinois, longtemps attardés à l’école d’Hegel, qui blasphémait l’Eucharistie et souhaitait de ne point mourir avant d’avoir vu succomber le catholicisme, se mettaient à l’école de Schelling, qui, tout protestant qu’il fût resté, déclarait formellement que, sans le Pape, le Christ historique serait à jamais perdu.

« C’est un ragoût panthéiste avec une sauce chrétienne, » disait de la philosophie de Schelling son collègue et ancien ami, François Benoît Baader. On eût pu dire de Baader, à son tour, qu’il donnait un ragoût théosophique avec sauce