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ainsi sa dernière patrie. Derrière lui, la revue Le Catholique obtenait aussi droit de cité en Bavière ; elle s’installait à Spire jusqu’en 1841.

Le portrait fait par Henri Heine du pauvre M. Goerres, « condamné, tout le long de l’année, à réciter à des séminaristes l’histoire du péché originel, » n’est qu’une caricature. Il faut se défier des jugemens de Heine sur les professeurs bavarois : en lui faisant espérer une chaire à l’université de Munich, et en ne la lui donnant point, on l’avait mis en fort méchante humeur ; et dans une lettre à Varnhagen, il s’avouait « capable de pendre ces Polignacs allemands. » Faute de pouvoir pendre Goerres, il l’a de son mieux diffamé. De fait, deux cents étudians et beaucoup de gens du peuple se pressèrent aux premières leçons de Goerres ; peu à peu, l’auditoire se restreignit ; une élite fut fidèle. C’était plutôt une philosophie de l’histoire qu’un enseignement de l’histoire : Goerres ne suivait pas les faits, mais, d’un regard impérieux, il les convoquait autour de certains pôles élus, le Sinaï, le Calvaire. Il voyait, dans l’histoire, « la servante de la fraîche et verte vérité, qui n’a pas besoin de manteau pour se couvrir. » Mais cette histoire, toujours véridique, devenait comme la matière à laquelle il imposait une forme ; et dans une « perspective d’aigle, » suivant le mot de Diepenbrock, il la mettait en acte. Le protestant Boehmer, un maître en érudition, admirait profondément cette « manière titanique. » Les trois conférences publiées en 1830 sur le fondement, les divisions et la suite de l’histoire du monde, et la préface donnée par Goerres à la Vie de Jésus, de Sepp, nous donnent l’image de ces ascensions hebdomadaires dans lesquelles le professeur, promenant entre ciel et terre sa somptueuse imagination, interprétait avec l’ « au-delà » les événemens d’ici-bas. Le romantisme allemand déroulait à son tour un Discours sur l’Histoire universelle. Mais on ne trouvait pas, ici, cette régularité superbe avec laquelle, sur un geste de Bossuet, les faits de l’histoire s’alignent devant Dieu, comme les courtisans devant le grand Roi. Le geste de Goerres est plus saccadé ; et l’histoire, telle qu’il la maîtrise, s’abandonne à des soubresauts avant de se venir ranger dans la voie, fixée d’avance, où les conseils éternels s’accompliront. Les peuples, chez Bossuet, semblent se soumettre à la règle dramatique de l’unité d’action : le drame où les jette Goerres est moins sobre et plus tourmenté. Gravement effacé