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Verbe continuant de se faire chair ; c’était Jésus se renouvelant sans cesse, inlassable à reparaître sous une forme humaine pour achever à travers les siècles l’éducation de ses frères ; c’était l’incarnation permanente du Fils de Dieu. Lorsque Léon XIII, dans l’encyclique Immortale Dei, déploiera l’idée de l’Eglise, on ressaisira, sous la signature papale, les pensées de Moehler ; et c’est en effet l’originalité de la Symbolique, de rejoindre avec une intrépide fidélité les premiers Pères, de ne s’être point attardée aux droits abstraits de l’Église dans l’ordre politique et social, de l’avoir définie comme un courant de vie, et de l’avoir envisagée, non point en fonction de la terre, mais en fonction du ciel.

Moehler émut les consciences, même couronnées : Frédéric-Guillaume III, pour susciter des réfutations, promit une récompense. C’est que la Symbolique, par la façon même dont elle posait le problème, était gênante pour le piétisme prussien. Si elle eût prétendu montrer que le rationalisme, qui détruit l’élément divin en glorifiant l’élément humain, a été la suite fatale du protestantisme, les piétistes eussent objecté que ce reproche ne les frappait point. Mais Moehler les visait, se reportait à ces symboles dont ils se réclamaient, les convainquait d’annihiler l’homme, à l’inverse du rationalisme qui annihilait Dieu ; et par-dessus ces deux extrêmes, à l’écart, le catholicisme planait. Plusieurs ripostes jaillirent : la principale, sortie de Tubingue même, était signée de Christian Baur, lequel s’illustra peu de temps après, en résumant en un duel entre saint Pierre et saint Paul l’histoire de la primitive Eglise. Dans l’histoire du développement de la théologie protestante au XIXe siècle, le livre de Baur a son importance. Il suit Moehler, chapitre par chapitre ; mais ce qu’il lui oppose, c’est une combinaison, très intelligemment concertée, entre la théologie de Schleiermacher et la philosophie de Hegel. On sait qu’à cette date, la plupart des penseurs de la Réforme s’essayaient à concilier ces deux systèmes, dont l’un fait reposer la religion sur le sentiment de notre dépendance, et dont l’autre, au contraire, la considère comme un acte de liberté, comme une prise de possession rationnelle de la nature par l’esprit ; et l’on sait à quelles conclusions ruineuses aboutirent, au terme de cette conciliation, le philosophe Feuerbach et plus tard le théologien Strauss. L’adaptation de l’hégélianisme à la doctrine de Schleiermacher, telle que la réalisait Baur, était beaucoup moins subversive ; mais il y avait, entre la