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une image : l’évêque fut cette image, personnification de la tendresse des uns pour les autres. La communauté l’instituait ; mais le besoin qui faisait agir la communauté était inspiré par l’Esprit et satisfait par l’Esprit. Un jour vint où la réunion des évêques en concile signifia l’union indivisible de tous les fidèles ; et Moehler observe que la première définition formelle de la divinité de Jésus fut donnée à Nicée, où, pour la première fois, tous les fidèles étaient réunis dans la personne de leurs « images d’amour : » Jésus attendait ce jour-là pour se laisser pleinement connaître. Quinze ans avant que Feuerbach, dans son livre sur l’Essence du christianisme, n’accusât la religion du Christ de créer un conflit entre la foi, qui asservit, et l’amour, qui émancipe, entre la foi, qui sépare, et l’amour, qui unit, le théologien catholique de Tubingue expliquait avec toute son âme que les satisfactions de la foi sont des récompenses de l’amour.

Une question subsiste : elle concerne la primatie pontificale. Moehler confesse avoir longtemps douté, et presque nié que cette primatie appartînt à l’essence de l’Église : il lui semblait que l’histoire des premiers siècles en refusât la preuve. Mais voici se dessiner, dans l’architecture même de son système, l’issue par laquelle il s’évadera de ses propres objections. Pour que la primatie rayonnât, il fallait que des besoins se fissent sentir. Jésus n’a pas dit : « Je suis fils du Dieu vivant ; » il a attendu que ses disciples eussent assez de vie pour le lui dire eux-mêmes. Pareillement, c’est lorsque l’idée d’unité eut pénétré tous les membres de l’Eglise, que la primatie fut nécessaire comme expression de cette unité. Il semblerait, à suivre ces principes, qu’aux yeux de Moehler ce ne fût pas le Christ qui a créé la papauté, mais la papauté qui a germé dans l’Eglise. Et lorsqu’il observe ensuite que les périodes de splendeur de la chaire de Pierre coïncidèrent avec l’époque où « l’Église, étant dans l’état le plus affligeant et le plus embrouillé, » avait besoin d’un remède puissant, il suffirait peut-être de serrer sa pensée pour constater que dans l’idée qu’il se fait de l’Eglise, l’exaltation de la papauté se présente, si l’on peut ainsi dire, comme quelque chose de trop occasionnel et de trop accidentel : « Ce n’est pas l’ignorance et la barbarie, disait-il à cette époque, qui ont été un produit de la papauté ; la papauté a été nécessitée par l’ignorance et par la barbarie. » Il croyait ainsi défendre cette institution contre les, reproches dont l’accablait la Réforme. Le