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lui était offerte. Assez savant déjà pour mesurer l’ampleur de cette tâche, et trop intimement religieux pour n’en point deviner la gravité, Moehler prit une décision qui parut alors plus naturelle qu’aujourd’hui. Sur les cinq professeurs qu’il avait eus à l’école d’Ellwangen, trois étaient d’une ignorance renommée, et les manuels qu’ils lui avaient mis entre les mains étaient, pour la plupart, l’œuvre de rationalistes et de fébroniens. Or, les facultés de théologie protestante n’avaient pas été, comme les universités catholiques, à moitié détruites par la sécularisation des biens d’Eglise : Moehler résolut d’aller s’asseoir sur leurs bancs ; il n’y trouverait pas l’orthodoxie, non plus d’ailleurs que dans ses vieux livres de séminaire, mais il y chercherait la science, et s’en reviendrait avec elle. En septembre 1822, il commença son tour d’Allemagne.

Les leçons d’histoire religieuse que professait Neander à Berlin lui furent une révélation : Neander n’expulsait pas le surnaturel de l’histoire, il l’y faisait au contraire circuler ; sa science était accessible aux impressions pénétrantes de la foi. Une certaine affinité d’âmes, un commun dégoût pour la froide sécheresse d’une théologie à demi sceptique, rapprocha les deux hommes ; et les semaines berlinoises de Moehler furent dans sa vie un moment décisif. Berlin l’avait mis en contact avec les écrits des Pères : c’est à ce contact que Moehler, avec l’émoi d’une trouvaille, sentit s’éveiller en lui, selon ses propres expressions, l’instinct catholique. Il rapportait à Tubingue une méthode de travail, l’habitude de remonter aux sources mêmes et de chercher dans cette ascension vers le passé, non point seulement des documens que le flair critique vérifie, mais une atmosphère où se retrempe l’esprit chrétien.

Deux ans s’écoulaient, et l’élève de renseignement protestant publiait un travail intitulé : De l’unité de l’Eglise, ou du principe du catholicisme d’après l’esprit des Pères des trois premiers siècles. Son âme s’était livrée aux textes, et son livre était né. « C’est le tableau de mon être, écrivait-il à Lipp, le futur évêque de Rottenburg. L’étude sérieuse des Pères a provoqué en moi un grand éveil ; c’est chez eux que j’ai découvert tout d’abord un christianisme aussi vivant, aussi vrai, aussi plein. » Analyser l’ouvrage avec quelque détail, c’est assister à la découverte de l’Eglise par Moehler : le spectacle n’a rien de banal.

« Vous êtes Christ, » disait Pierre à Jésus : à l’origine de ce