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L’atmosphère un peu lourde du rationalisme ambiant pesait encore sur ces professeurs, lorsqu’ils furent appelés à enseigner la vérité religieuse ; il leur manquait même, peut-être, et la pleine conscience de leurs croyances, et la vraie maîtrise de leurs opinions ; et quelques années d’érudition les amenèrent à donner l’exemple, périlleux mais décisif, d’un acte de foi dans lequel il entrait autant de travail critique que de besoin de soumission, et qui, sanctionnant leur étude analytique des sources, était comme la dernière étape de leur libre science. Plus de trois quarts de siècle ont passé ; l’école et la revue de Tubingue, toujours en labeur, illustrent la théologie allemande. Voilà quatre-vingt-six ans qu’elles forment et tiennent en haleine le clergé wurtembergeois, aujourd’hui l’un des meilleurs de l’Allemagne, et que, par un recrutement indigène, elles puisent parmi ce clergé même professeurs et collaborateurs, perpétuant ainsi, avec constance et sécurité, certaines nuances d’opinion, certaines méthodes d’analyse, certains accens de langage, certaines traditions d’une science ecclésiastique tout à la fois autonome et orthodoxe, et satisfaisante, tout ensemble, pour l’esprit de recherche et pour l’esprit de foi.

Jean-Sébastien Drey fut le vrai fondateur de l’école. Dès 1812, Drey adressait à l’Archiv de Constance un article sur l’état de la théologie ; il affrontait, directement, le radicalisme de Wessenberg, et réhabilitait les penseurs du moyen âge. La rédaction de l’Archiv sentit la portée de ces pages et ne les publia qu’en les critiquant. Elles furent bientôt oubliées, et n’empêchèrent point Hirscher de commettre à l’endroit de la scolastique, dans un opuscule de 1823, un grave péché de mépris ; mais elles témoignent qu’au moment où la théologie des XIIe et XIIIe siècles était systématiquement bafouée par l’Allemagne savante, le futur chef de l’école de Tubingue voyait plutôt dans cet irrespect une marque de routine qu’une preuve de « lumières. » Devenu professeur à Tubingue, l’original penseur eut le souci, vingt-cinq ans avant Newman, d’acclimater dans les cerveaux l’idée du développement dogmatique et de l’évolution disciplinaire ; et par là, il rendit à la pensée catholique allemande un insigne service. Le mécontentement frondeur et le besoin d’innovation religieuse, dans l’Allemagne moderne, affectaient volontiers, si l’on ose ainsi dire, une attitude archéologique, et n’affichaient d’autre prétention que d’exhumer