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langueur persistante, et bientôt un déclin de santé de plus en plus rapide. Dans les yeux des médecins, on devine des prévisions terribles. Le retour en France, vers un climat plus doux, est décidé. Charles de Montalembert accompagnera sa sœur. Alors, commence le plus douloureux des supplices : un voyage qui dure des mois, à petites journées, par des chemins affreux, avec une malade plus adorée que jamais, et dont la vie est comme suspendue. Les lettres de Montalembert marquent toutes les péripéties de ce long tête-à-tête avec la mort, les alternatives de joie et d’accablement, de confiance et de désespoir[1]. Enfin, la terre de France est là ; on approche du but du voyage, qui est de gagner l’Italie, par la Suisse et le Mont-Cenis. Mais le 1er octobre 1829, il faut s’arrêter à Besançon, et deux jours après, la malade avait cessé de vivre.

Aucun souvenir de cette désolante épreuve ne sortira de la mémoire de Montalembert. Il n’entendra plus ces mots « ma sœur » sans un déchirement de cœur. Le problème de la mort, avec ses données surnaturelles, était posé désormais devant ses yeux. En présence de tant de jeunesse, de tant de beauté frappées dans leur fleur, il lui semble monstrueux de se refuser à croire à l’au-delà. Il n’admettra plus que le poème commencé, et si brutalement interrompu, soit destiné à ne s’achever nulle part : telle une symphonie dont les premiers accens et le thème déjà entrevus demeureraient sans développement, ni suite.

Le voyage en Irlande, qu’il entreprit en 1830, après son séjour à Stockholm, n’exerça pas une moindre influence sur son caractère et sur sa vie. Il avait devant les yeux une nation qui a survécu à l’oppression, mais qui n’a conservé de tout ce que possédaient ses pères que sa vieille croyance ; une nation dont la foi a sauvé le patriotisme. Il remonte vers son passé, il refait avec elle le chemin de son calvaire ; il la voit dépouillée, fouler aux pieds, bâillonnée ; et il se demande s’il est admissible que l’iniquité des conquérans puisse insulter sans appel à tant de générations sacrifiées, s’il est admissible que l’oppressé et l’oppresseur s’évanouissent également dans le néant, s’il n’y a ni juge, ni réparation : son esprit se révolte à cette idée et entrevoit au-delà de la vie l’éternelle justice. La foi invincible de ce peuple

  1. Lettres à un ami de collège. Ces lettres étaient adressées à M. Léon Cornudet, dont le clairvoyant et inaltérable dévouement fut précieux pour Montalembert, et qui peut être considéré comme une des nobles figures de ce temps.