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Telle est la dernière lettre qu’Elvire ait adressée à Lamartine.

C’est elle-même qui a souligné les mots : pour expier.

Cette lettre, d’un ton si grave, d’une si belle sérénité, et qui contraste avec le tour conventionnel des lettres que Lamartine a fabriquées pour les placer dans Raphaël, a la valeur d’un testament. Celle qui l’a écrite, une mourante, est arrivée à cette heure où rien ne sert plus de se payer de mots, où se dissipe le mirage des illusions qui nous ont séduits. Cet amour qu’hier encore, dans son exaltation romanesque, elle appelait une vertu, elle comprend maintenant qu’il est impossible de le concilier avec la notion du devoir. Il lui est même interdit d’en aimer le souvenir : elle a fait l’entier sacrifice. Aussi bien, à la religiosité, dont elle s’était contentée jusqu’alors, s’est substituée la foi véritable. « On dit qu’elle mourut en chrétienne, convertie par M. de Bonald, » écrivait son dernier biographe. Cette fin chrétienne ne sera plus un on-dit. Nous possédons maintenant sur ce point le seul témoignage qui compte : celui d’Elvire. Cette lettre sera désormais le commentaire inséparable du Crucifix.

Julie n’avait plus que cinq semaines à vivre. Elle s’éteignit le 18 décembre 1817. M. de Virieu était venu, comme elle l’espérait. Il put recueillir, à son lit de mort, le crucifix où elle avait posé ses lèvres de croyante et qui fut rapporté à Lamartine. Ce que fut la douleur de celui-ci, nous le savons ; et il est singulier qu’on ait songé à en contester la profondeur, parce qu’elle s’est plus tard répandue en des chants d’une tristesse pourtant si pénétrante ! Mais voici des lignes écrites sous le coup même de la première émotion, le 12 janvier 1818 : « La fatale nouvelle d’où dépendait le sort de ma vie m’est arrivée le lendemain même de votre passage… Un de mes amis est venu passer quelques-uns de ces affreux momens près de moi : il est reparti aujourd’hui. Ce n’est que dans une complète solitude et un isolement total que je puis supporter patiemment une vie qui m’est à charge. » Au mois d’août Mme de Lamartine retrouve son fils, toujours à Milly, « calme, mais triste, plus que jamais vivant dans les livres, et quelquefois écrivant des vers qu’il ne montre jamais… On dirait aussi qu’il est abattu par quelque chagrin secret qu’il ne dit pas, mais que je crains d’entrevoir. Il n’est pas naturel qu’un jeune homme de cette imagination et de cet âge se confine aussi absolument dans la solitude ; il faut qu’il ait perdu ou par la mort, ou autrement, je ne sais que ! objet qui cause sa