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le jour où il désespère de jamais revoir celle qu’il avait attendue vainement aux lieux où ils s’étaient aimés, cet amour lui apparaît désormais dans le passé ; le regret et le souvenir en dégagent la poésie : il écrit le Lac. Il suffit de comparer ce chef-d’œuvre aux pièces de date antérieure, aux élégies imitées de Properce ou de Parny, pour mesurer tout ce que son auteur doit à Elvire.


VI

Lamartine achevait de composer le Lac le 23 septembre 1817. À cette date, Julie, qu’on avait transportée à Viroflay, y languissait dans l’état de santé le plus misérable. « Je suis venue ici pour m’y reposer, écrivait-elle à ses amis Mounier. Mais j’y apportais la fièvre, une maladie de poitrine qu’on appelle, je crois, un catarrhe suffoquant et de grands maux de nerfs. C’est avec toutes ces gentillesses que je vis depuis plus de cinq semaines sans avoir presque quitté mon lit… Je n’ai pas été absolument sans secours. Un médecin de Versailles vient me voir. Le bon M. Alix a même quitté son lit pendant vingt-quatre heures pour venir auprès du mien. » De retour à Milly, Lamartine y recevait des nouvelles qui ne lui laissaient aucun doute sur l’imminence d’une issue fatale. On peut suivre à travers ses lettres à sa confidente, Mlle de Canonge, comprises dans sa correspondance générale, le progrès de ses inquiétudes. 13 octobre : « Je suis plus que jamais dans l’extrême de la souffrance, de la tristesse et du malheur… Je ne trouve un peu de repos que dans une complète solitude qui m’accoutume peu à peu à toutes les idées d’éternelle séparation, auxquelles il faut que je m’habitue. » 24 octobre : « Rien n’a changé qu’en pis dans ma déplorable situation : la personne que j’aime le plus au monde se débat depuis sept semaines dans les horreurs d’une affreuse agonie, et je suis ici dans l’absolue impossibilité d’aller auprès d’elle et dans les plus durs embarras de tout genre et pour elle et pour moi. » 8 novembre : « Rien n’a changé qu’en plus mal dans la santé de la personne dont je vous ai parlé, et je ne puis à chaque courrier attendre que la confirmation de mon malheur. »

Au contraire, et par un phénomène qui n’est pas rare dans ce genre de maladies, un mieux se produisit dans l’état de Julie. Elle se hâta de profiter de ce répit pour écrire à Lamartine et, en l’informant elle-même de l’espoir où elle était d’un retour à la