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au cours d’un voyage en Italie, rencontré une petite ouvrière dont il avait fait sa maîtresse, qu’il avait abandonnée, et qui était morte. Sa vanité avait été flattée, son imagination occupée : son cœur n’avait pas été ému. Il était arrivé à une période difficile de sa vie. Sans emploi, sans but précis dans l’avenir, désœuvré, il s’ennuyait. Les vers où se jouait sa merveilleuse facilité pouvaient lui être un passe-temps ; il n’avait jamais songé à en faire un métier. Il sollicitait vainement un poste dans la diplomatie. Le mauvais état de sa santé s’aggravait par l’effet de cette inaction forcée. Par suite de cette dépression de tout son être, la mélancolie, ce mal du siècle, s’insinuait dans son âme naturellement rêveuse. Toute sorte d’aspirations, tumultueuses et confuses, s’accumulaient en lui. « Je ne sais quelles idées vagues et sublimes, et infinies, me passent au travers de la tête, à chaque instant, le soir surtout, quand je suis, comme à présent, enfermé dans ma cellule, et que je n’entends d’autres bruits que la pluie et les vents. Oui, je le crois, si, pour mon malheur, je trouvais une de ces figures de femme que je rêvais autrefois, je l’aimerais autant que nos cœurs auraient pu aimer, autant que l’homme sur la terre aima jamais… » Depuis le mois de novembre 1814 où il adressait à Aymon de Virieu cette brûlante confidence, jusqu’au moment où les médecins l’envoyèrent à Aix pour soigner une affection du foie, ses maux physiques et sa détresse morale n’avaient fait que s’accroître. Il arrivait malade, souffrant du tourment de sa jeunesse inassouvie, dans la mélancolie ardente d’une âme de désir.

C’est dans ces dispositions d’esprit si voisines que se trouvaient Lamartine et Julie Charles, quand leur destinée les réunit. Ils se virent, ils s’aimèrent. Ils étaient seuls, dans un cadre de nature fait à souhait pour l’idylle. Tout ce qui n’était pas leur amour fut oublié.


III

Il fallut s’éveiller de cette ivresse. L’automne approchait. Julie dut s’acheminer vers Paris, où nous voyons qu’elle était rentrée en septembre. A Milly, puis à Mâcon où il était retourné, Lamartine rêvait de venir passer l’hiver à Paris, pour y retrouver celle qu’il aimait. Il en cherchait le moyen. Mais, dans l’état de gêne où était la famille de Lamartine, un séjour du jeune