Page:Revue des Deux Mondes - 1905 - tome 25.djvu/574

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

son lierre japonais aux feuilles en miniature, et les vieux petits bouddhas de granit au sourire d’enfant mort, et les lichens vert pâle sur le tronc des grands cèdres !… Vraiment je n’arrive pas à me figurer que, tout cela, j’e ne le reverrai jamais, jamais plus.

De l’autre côté du mur aux fines capillaires, Inamoto m’attendait, agitée, inquiète, disant que je n’étais pas à l’heure, que son père allait l’appeler, qu’on aurait à peine le temps de se voir.

Est-ce possible qu’au fond de sa petite âme il y ait eu sincèrement un peu d’amitié pour moi ? Il le faut bien, à ce qu’il semble, pour qu’elle soit tout le temps revenue. Et d’ailleurs, je ne crois pas que l’affection ait toujours besoin de paroles, de connaissance approfondie, ni même de cause raisonnable quelconque ; elle peut jaillir comme cela, d’un regard, d’une expression d’yeux, d’un rien moindre encore, qui échappe à toute analyse.

Et maintenant, il va falloir se séparer d’une façon brusque et absolue, sans même de lettres pour se rappeler l’un à l’autre, sans communication possible, jamais. C’est comme une brutale coupure de sabre, entre nos deux existences, pendant un an rapprochées.

On l’appelle d’en bas, dans la cour de la pagode, sur un ton de commandement. Elle répond : « Oui, mon père, je viens. » Je n’avais jamais entendu sa voix, à elle, vibrer si loin, une voix claire et jolie. Allons, il faut se dire adieu. Et je l’embrasse, ce que je n’avais pas osé faire encore ; une embrassade de bonne amitié attristée. Elle croit devoir me rendre mon baiser, — et s’y prend avec tant de gentille gaucherie, comme un bébé qui ne sait pas !… On dirait qu’elle n’a jamais de sa vie embrassé personne.

Au fait, s’embrassent-ils entre eux, les Japonais ? Je ne l’ai jamais vu. Même les petites mamans nipponnes, qui sont si tendres, n’ont jamais, en ma présence, mis un baiser sur la joue de leur enfant-poupée.

On appelle à nouveau d’en bas. Elle va quitter Nagasaki tout à l’heure, son petit bagage prêt, ses socques et son parapluie ; impossible de prolonger… Et l’instant de la séparation s’éclaire tout à coup d’une sorte de feu de Bengale, comme pour un effet au théâtre : c’est le soleil couchant qui, au bas de l’horizon,