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A certain carrefour, le mieux fréquenté de la ville, une estrade était dressée, sur laquelle tous ces petits guignols exquis prennent place avec dignité.

Alors commence une scène historique de haute allure. Pluie d’Avril, qui a le premier rôle et brandit son sabre en beaux gestes de tragédie, déclame tout le temps de sa plus grosse voix de moumoutte en colère, une voix qu’elle tire on ne sait comment du fond de son gosier menu, une voix qui, parfois, tourne, se dérobe en son de petite flûte, en fausset de petit enfant ; — et c’est alors qu’elle est le plus adorablement impayable, ma sérieuse tragédienne…


Jeudi, 13 octobre. — Dans le cabinet particulier de la maison de thé, où je les ai mandées aujourd’hui pour leur faire compliment, elles arrivent languissantes et en négligé intime, mes deux petites amies, Pluie d’Avril et Matsuko qui ne boude plus. Elles n’ont apporté ni masques ni guitares, sachant bien que ce n’est point comme autrefois pour leurs chants et leurs danses, mais pour elles-mêmes que je continue de venir les voir, en vieux camarades que nous sommes à présent.

Mais sont-elles changées ! Ce n’est pas seulement la fatigue d’hier, il y a autre chose… Ah ! leurs sourcils qui manquent ! Elles les avaient rasés, les petites barbares, pour s’en mettre de postiches à deux centimètres plus haut ! Les voilà donc presque vilaines, jusqu’à ce qu’ils aient repoussé. Et puis, aucun apprêt dans la chevelure, point de coques élégantes ni de piquets de fleurs ; les cheveux encore tout collés et tout plats, comme la veille sous les casques lourds, elles ressemblent à deux pauvres petites moumouttes qui seraient tombées à l’eau et en garderaient encore le poil mouillé. Presque vilaines, oui, mais fines et mignonnes créatures quand même.

Elles m’ont apporté leurs photographies promises, auxquelles il s’agit maintenant de mettre la dédicace. Et, sur leur ordre, des mousmés servantes déposent à leurs côtés par terre une boîte à écrire en laque, avec pinceaux délicats, encre de Chine, godets, l’attirail qu’il faut. C’est par terre aussi qu’elles sont assises, et c’est par terre que tout cela va se passer, bien entendu. D’abord elles discutent gravement sur les termes, et même, je crois, sur certain point obscur d’orthographe. Et puis, à main levée, à main sûre et vive, elles tracent de haut en bas, sur les petits