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— « Veux-tu venir voir notre temple ? » — propose-t-elle. Et nous pénétrons dans le vieux sanctuaire obscur, empli de symboles agités, de formes contournées, de gestes menaçans qui s’ébauchent dans l’ombre. Un peu de paix seulement vers le fond, où des lotus d’or, dans de grands vases, s’étalent et se penchent avec une grâce de fleurs naturelles, devant une sorte de tabernacle voilé d’ancien brocart. Mais sur les côtés, des dieux de taille humaine, rangés contre les murs, gesticulent avec fureur. Et, au plafond, embusqués entre les solives, des êtres vagues, moitié reptiles, moitié racines ou viscères, nous regardent avec de gros yeux louches.

— « Veux-tu venir voir ma maison ? » — dit-elle ensuite. Et j’entre, après m’être poliment déchaussé, dans un logis centenaire, mais propre et blanc, où la nudité des parois et l’élégance d’un vase de bronze, empli de fleurs, témoignent de la distinction des hôtes. L’autel des ancêtres, en laque rouge et or, très enfumé par l’encens, est encore fort beau, et très longues sont les généalogies inscrites sur les saintes tablettes.

Epouvantée tout à coup, comme de quelque sacrilège commis en me montrant cela, ma petite amie me regarde, au fond des yeux, avec une interrogation ardente. — Mais non, mes yeux à moi n’expriment rien d’ironique, du respect au contraire, et je ne souris pas. Alors, sa jeune conscience aussitôt se calme ; elle m’ouvre des coffrets en forme d’armoire, enfermant chacun une divinité dorée qu’elle vénère.

Bientôt l’heure d’aller ouvrir le portail en bas de la cour, à cause des petits frères qui vont rentrer de l’école. Et elle me reconduit, par le sentier vertical aux marches de terre, jusqu’à la jungle murée, là-haut, où se donnaient nos rendez-vous autrefois, et d’où je m’en irai par escalade comme j’étais venu.

Ainsi nous nous retrouvons ensemble, dans ce même bois, qui nous réunira encore presque chaque soir pendant au moins trois semaines, — quand j’avais si bien cru que c’était fini, qu’entre nous était tombé le rideau de plomb d’une séparation sans retour, sans lettres possibles, aggravé d’immédiat et éternel silence…


— « Quel dommage, — me dit une heure plus tard Mlle Pluie d’Avril, assise sur les nattes blanches de son logis, avec