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en planches de cèdre, avec toujours, pour les protéger, quelque vieille pagode perchée au-dessus, dans un recoin d’ombre et de grands arbres. De loin en loin, un château de Samouraïs : forteresse aux murailles blanches, avec donjon noir, — quelqu’un de ces donjons à la chinoise qui ont plusieurs étages de toitures et qui donnent tout de suite la note d’Extrême-Asie. Et, dans ce Japon, les cultures qui n’enlaidissent pas comme chez nous la campagne ; les champs, les rizières sont des milliers de petites terrasses superposées ; au flanc des coteaux, on dirait, dans le lointain, d’innombrables hachures vertes.

C’est déjà, pour un peuple, un rare privilège et un gage de durée, d’être peuple insulaire ; mais surtout c’est une chance unique, d’avoir une mer intérieure, une mer à soi tout seul où l’on peut en sécurité absolue ouvrir ses arsenaux, promener ses escadres.


Jeudi, 10 octobre. — Avant de sortir ce matin de la Mer Intérieure, nous nous étions arrêtés, les derniers jours, dans quelques villages des bords, villages tous pareils, où semblait régner la même activité physique, et la même tranquillité dans les esprits. Des petits ports encombrés de jonques de pêche et où l’on sentait l’acre odeur de la saumure. Des maisons tout en fine et délicate menuiserie, d’une propreté idéale, gardant l’éclat du bois neuf. Une population alerte et vigoureuse, singulièrement différente de celle des villes, bronzée à l’air marin, bâtie en force, en épaisseur, avec un sang vermeil aux joues. Des hommes nus comme des antiques, souvent admirables, dans leur taille trapue, leur musculature excessive, ressemblant à des réductions de l’Hercule Farnèse. A vrai dire, des femmes sans grâce, malgré leur teint de santé et leurs cheveux bien lisses ; trop solides, trop courtaudes, avec des grosses mains rouges. Et d’innombrables petits enfans, des petits enfans partout, emplissant les sentiers, s’amusant dans le sable, s’asseyant par rangées sur le bord des jonques comme des brochettes de moineaux. Ce peuple ne tardera pas à étouffer dans ses îles, et fatalement il lui faudra se déverser autre part.

Dans les campagnes, en s’éloignant de la rive, même population laborieuse et râblée ; ce n’est plus à la pêche, ici, que se dépense la vigueur des hommes ; c’est aux travaux de cette terre japonaise, dont chaque parcelle est utilisée avec sollicitude. Les