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Continuant de suivre la ligne des grèves, je rencontre une étroite prairie, à l’herbe de velours, resserrée entre la plage et la montagne à pic avec son manteau de verdure. Un hameau de pêcheurs est là, d’une tranquillité paradisiaque, entouré d’altéas à fleurs roses. Devant la porte de leurs cabanes, les hommes demi-nus, aux musculatures superbes, raccommodent leurs filets : on dirait une scène de l’âge d’or. (Seuls, les poissons ne bénéficient point de la trêve générale ; on les attrape et <on les mange. Ils constituent d’ailleurs la principale nourriture des Japonais, qui ne sauraient s’en passer.)

Plus loin, une source jaillit dans un bassin naturel, et voici une troupe de biches, avec leurs faons, qui descendent de la forêt pour y boire. Par crainte de les effaroucher, j’avais d’abord ralenti le pas, mais je comprends bientôt qu’elles n’ont aucune frayeur. Et même, l’instant d’après, nous nous trouvons cheminer ensemble dans le même sentier d’ombre, elles si près de moi que je sens leur souffle sur ma main.

Le soir, quand je reviens, par la baie que gardent les grands portiques dans l’eau, autre compagnie de biches encore, qui s’amuse à traverser le frêle pont sacré, entre les images de dieux ou de déesses. Et, arrivées au bout, les voilà prises d’une soudaine fantaisie de vitesse, où la peur certainement n’entre pour rien ; elles filent alors comme le vent, puis disparaissent dans les sentiers de la montagne surplombante, et bientôt sans doute dans les nuages proches, — où quelque divinité d’ici a dû les appeler.


Lundi, 7 octobre. — Nous repartons ce matin sans avoir aperçu le sommet de l’île aux forêts, — le dôme, pourrait-on dire, de cet immense temple vert, — car le même rideau de nuées persiste à l’envelopper. Et bientôt disparaît l’abrupt rivage si magnifiquement tapissé de verdure ; disparaissent les portiques religieux, en sentinelle aux abords, avec leurs longs reflets dans l’eau. Nous nous en allons tranquillement sur cette Mer Intérieure, qui est comme un lac immense, aux rives heureuses. Les grandes jonques anciennes, qui ont des voiles pareilles à des stores drapés, circulent encore en tous sens, poussées aujourd’hui par une brise très douce, d’une tiédeur d’été. Çà et là, au fond des gentilles baies, on aperçoit les villages proprets, aux maisonnettes