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singularité de ses habits, la splendeur de sa maison, et un je ne sais quoi d’élégant et d’aisé, dans sa conversation et toute sa personne, qui ne s’acquérait alors qu’à Versailles. A quatre-vingt-dix ans, il dressait encore des chevaux. Un jour qu’il faisait travailler dans le Bois de Boulogne un poulain à ses débuts, le roi Louis XV vint à passer. Lauzun exécuta devant lui « cent passades, » et remplit les spectateurs d’admiration par « son adresse, sa fermeté et sa bonne grâce[1]. » Il avait souvent de ces jolis momens.

Mais il y avait, il y eut toujours le revers de la médaille, le « nain » malfaisant que son esprit malin et ses méchans tours rendaient l’épouvantail de ceux qui l’approchaient. De loin, Lauzun est très amusant sous cet aspect ; il excellait dans la bouffonnerie. Il eut dans l’extrême vieillesse une maladie qui faillit l’emporter. Un jour qu’il était très mal, il aperçut dans une glace deux de ses héritiers qui venaient sur la pointe du pied, en se cachant derrière des rideaux, regarder s’ils hériteraient bientôt. Lauzun ne fit semblant de rien, et se mit à prier à haute voix, en homme qui se croit seul. Il demandait pardon à Dieu de sa vie passée, et se lamentait de ne plus avoir le temps de faire pénitence. Il s’écriait qu’il lui restait une seule voie pour faire son salut, qui était d’employer les biens que Dieu lui avait donnés à racheter ses péchés, et qu’il en prenait l’engagement de tout son cœur ; qu’il promettait déléguer aux hôpitaux tout ce qu’il possédait, sans en distraire la moindre chose. Il faisait ces déclarations avec tant de ferveur, d’un accent si pénétré, que ses héritiers s’enfuirent éperdus conter leur malheur à Mme de Lauzun. Nous quitterons Lauzun sur cette scène, l’un de ses chefs-d’œuvre. Il mourut en 1723, à quatre-vingt-dix ans passés.

Mademoiselle avait été la dernière à disparaître des grandes figures de la Fronde. Retz, Condé, Turenne, La Rochefoucauld, Mme de Chevreuse, Mme de Longueville étaient morts avant elle. Le seul des anciens rebelles qui ne pût pas mourir, l’Hôtel de Ville de Paris, s’était vu retrancher de l’histoire, par ordonnance royale, pour la période correspondant à la Fronde. Les procès-verbaux du conseil racontaient les sentimens révolutionnaires de la capitale pendant la guerre civile. Le Roi fit arracher des

  1. Saint-Simon, Mémoires.