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vit presque aussitôt défiler devant son lit le Roi et la famille royale : c’était l’avis officiel de laisser toute espérance. Elle mourut le 5 avril, à soixante-six ans, et fut enterrée à Saint-Denis avec beaucoup de pompe. Au milieu de la cérémonie, une urne dans laquelle, par un arrangement bizarre, on avait enfermé les entrailles, « se fracassa avec un bruit épouvantable et une puanteur subite et intolérable[1]. » Des femmes s’évanouirent, le reste de l’assistance gagna le grand air à la course. « — Tout fut parfumé et rétabli, » mais cette scène burlesque devint la risée de Paris. Il était écrit que la Grande Mademoiselle aurait toujours son petit coin de ridicule, même le jour de son enterrement.

Lauzun prit le grand deuil et fit le même jour une demande en mariage[2], pour bien marquer qu’il était veuf. Ayant essuyé un refus, il épousa (1695) la fille cadette du maréchal de Lorges, et devint par là le beau-frère de Saint-Simon. Mn, e de Lauzun était une enfant de quatorze ans[3], à qui M. de Lauzun avait paru si vieux, avec ses soixante-trois ans, qu’elle avait bien voulu de lui pour être promptement veuve. Elle s’était dit qu’au bout « de deux ou trois ans, tout au plus[4], » elle se trouverait libre et indépendante, riche et duchesse pardessus le marché, et cette idée l’avait séduite. Mais l’on ne pouvait jamais compter sur rien avec Lauzun. Sa femme le garda près de trente ans, à la faire enrager du matin au soir. Le Roi avait dit au maréchal de Lorges, en apprenant le mariage de sa plus jeune fille : « — Vous êtes hardi de mettre Lauzun dans votre famille ; je souhaite que vous ne vous en repentiez pas. » Le repentir fut prompt et amer, et fit rendre justice à Mademoiselle : il était impossible de vivre avec Lauzun. Sa femme n’en vint à bout, tant bien que mal, que par des miracles de patience, et l’on n’a jamais le droit d’exiger un miracle. Le vilain petit calcul du début avait été amplement expié lorsque enfin elle devint veuve.

Son époux avait été jusqu’à la fin l’une des parures et des curiosités de la Cour de France, par ses grandes manières, la

  1. Saint-Simon, Mémoires.
  2. Lettre de Madame à la duchesse de Hanovre. (Correspondance de Madame. Édition Ernest Jœglé.)
  3. Saint-Simon dit quinze ans ; il se trompe : l’acte de mariage porte quatorze.
  4. Mémoires de Saint-Simon.