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Mademoiselle gâta sa cause par son aigreur. « — Je vois bien, lui disait-elle, qu’en ce monde on se moque des gens qui font du bien, que l’on s’ennuie avec eux. » Lauzun, piqué, demandait : « — Cette plaisanterie durera-t-elle longtemps ? — Tant qu’il me plaira ; je suis en droit de dire tout ce que je voudrai, et vous en obligation de l’écouter. » Lauzun montra « beaucoup d’impatience de s’en aller, » et c’était assez naturel.

Une autre fois, ce fut lui qui se mit en colère le premier. De n’être plus rien, et de se voir à deux pas de la Cour sans pouvoir y mettre le pied, le supplice passait ses forces. Il accusa Mademoiselle de s’y être mal prise et de ne lui avoir fait que du tort : si elle ne s’était pas « mêlée de ses affaires, » il serait sorti de prison à de bien meilleures conditions. Mme de Montespan les entendait. À ce comble d’injustice et d’ingratitude, elle se fâcha, la princesse l’imita, et l’on ne voit point, au milieu de ces querelles, à quel moment Mademoiselle et Lauzun auraient eu envie de se marier, s’ils ne l’avaient pas été d’avant Pignerol. C’est encore une preuve morale à ajouter à toutes les autres.

Environ tous les deux jours, Lauzun se métamorphosait et redevenait pour Mademoiselle, pendant quelques heures ou quelques minutes, l’ancien « petit homme » à qui son étrange té donnait une séduction subtile, aussi difficile à expliquer qu’impossible à nier. Il n’avait pas de peine à la ramener. Dès qu’elle le retrouvait avec l’air « doux et timide » et le sourire énigmatique qu’elle avait tant aimés, avec ces manières à lui qu’elle défiait autrefois « de connaître, de dire ni de copier, » Mademoiselle retombait sous le charme et ne savait rien lui refuser. Mais cela ne durait jamais. Le temps d’obtenir d’elle une nouvelle démarche, un service de plus, et il reprenait l’air excédé du forçat qui traîne son boulet. Il exaspérait tous les jours sa jalousie comme à plaisir ; faute de mieux, « il s’amusait avec des grisettes[1], » après que la famille royale l’avait reçu en cousin deviné, sinon avoué, et que tout Paris était allé complimenter Mademoiselle sur son retour.

D’autres froissemens provinrent de ce que Lauzun prenait l’argent de Mademoiselle pour le sien. Choisy lui parut une dépense inutile ; il la blâma. « — Toutes ces terrasses coûtent des sommes immenses, disait-il en se promenant ; à quoi cela est-il

  1. Écrits inédits, Saint-Simon.