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« — Surtout recommandez, s’il vous plaît, à ces messieurs, d’empêcher que l’on n’entende les sottises qu’ils pourront crier tout haut, leur étant souvent arrivé d’en dire touchant Mme de Montespan, qui sont sans aucun fondement, les menaçant de les faire corriger si cruellement au moindre bruit qu’ils feront qu’il n’y en ait pas un qui ose souffler. » Cette lettre est l’épilogue de l’affaire des poisons en ce qui touche Mme de Montespan.

Elle était sauvée, que ce fût manque de preuves ou raison d’Etat, refus de Louis XIV d’en croire un abbé Guibourg et un Lesage, ou influence sur lui de sa vieille tendresse. Les quelques hommes qu’il avait fallu mettre dans le secret furent si parfaitement muets que les contemporains ne soupçonnèrent rien. Ils virent l’ancienne favorite demeurer à la Cour, un peu délaissée, mais rêvant toujours d’une revanche, et gardant un certain crédit, une certaine influence, ainsi qu’en témoignent à chaque page les Mémoires de Mademoiselle. Tout cela était dans l’ordre. Sur ce que pensait Louis XIV au fond de son âme, nous possédons un seul indice : une lettre de lui à Colbert, l’un de ceux qui savaient tout. Mademoiselle avait prié Mme de Montespan de solliciter je ne sais quelle grâce en faveur de Lauzun. Le Roi chargea Colbert de répondre pour lui : « — (Octobre 1681.)…Vous lui expliquerez en termes honnêtes que je reçois toujours les marques de son amitié et de sa confiance avec plaisir, et que je suis très fâché quand je ne saurais faire ce qu’elle désire ;… mais qu’à cette heure je ne saurais rien faire de plus que ce que j’ai fait[1]. » Il la croyait innocente, — ou il lui avait pardonné.


IV

Le premier soin de Lauzun, en se voyant rendu au monde, dut être, de se débrouiller tant bien que mal dans la chronologie des amours du Roi, si importante pour la connaissance de l’histoire intérieure de la Cour. Sur ce point, on a vu l’essentiel dans le chapitre précédent. Il eut ensuite à se mettre au courant de ce que Mademoiselle avait fait pour lui pendant sa captivité, et de ce qu’en pensait le public, et il reconnut tout d’abord que

  1. Mme de Montespan et Louis XIV, par P. Clément.