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allaient faire chez la Voisin et ses pareilles ? Ces mêmes noms ayant été prononcés à nouveau (6 janvier 1680), le Roi, tout en déclarant que les témoins avaient certainement menti[1], ordonna au procureur général, M. Robert, « d’avoir beaucoup d’attention » à cette particularité. Ce qui fut fait, avec ce résultat que Louis XIV en fut bientôt à se demander si la femme qu’il avait adorée entre ; toutes et qui lui avait donné sept enfans était une vile empoisonneuse ? si ce corps parfait pour lequel il avait risqué le salut de son âme avait figuré dans les cérémonies ignobles de l’infâme Guibourg ? si, non contente de s’en prendre à ses rivales, comme d’autres dont il savait à présent les noms, elle n’avait pas essayé dans un accès de jalousie de l’empoisonner, lui, le Roi ? Il cherchait la vérité, et ne la trouvait pas.

En attendant, il l’emmenait toujours partout, et elle lui faisait toujours des scènes. Il était un peu moins patient ; c’était toute la différence. De Bussy-Rabutin, le 18 mai 1680 : « — Le Roi,… comme il montait en carrosse avec la Reine, eut de grosses paroles avec Mme de Montespan sur des senteurs dont elle est toujours chargée et qui font mal à Sa Majesté. Le Roi lui parla d’abord honnêtement, mais comme elle répondit avec beaucoup d’aigreur, Sa Majesté s’échauffa. » Le 25, Mme de Sévigné enregistre une autre « extrême brouillerie. » Colbert les raccommoda.

La situation était poignante. On possède une longue série de lettres et de mémoires où La Reynie discute à l’intention du Roi les charges accumulées contre Mme de Montespan. C’est le tableau des doutes et des fluctuations d’un honnête homme que sa responsabilité angoisse, et qui voit un égal péril à déshonorer le trône, et à laisser auprès du Roi une femme qu’il lui est impossible de croire tout à fait innocente. Louis XIV passait à sa suite par les mêmes alternatives. Plus on allait, plus les présomptions devenaient fortes, sans qu’on eût jamais aucune preuve décisive. Le 12 juillet 1680, La Reynie résumait pour son maître l’histoire du « placet dont on devait se servir pour empoisonner le Roi. » Le 11 octobre, il déclarait qu’il s’y perdait, et suppliait Sa Majesté d’examiner s’il était « du bien de son État » de rendre ces « horreurs » publiques. Au mois de mai suivant, il avouait avoir été induit en erreur sur plusieurs points et y voir plus

  1. Louvois à M. Robert, le 15 janvier 1680.