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et de poisons, et les prêtres pour rites sataniques virent leur clientèle grandir d’année en année, si bien que lorsque leurs crimes furent découverts et que Louis XIV institua la « chambre ardente » (7 mars 1679) pour purifier la France de cette gangrène, tant de Parisiens se sentirent solidaires des accusés, que le Roi eut contre lui un puissant courant d’opinion. C’est peut-être le symptôme le plus significatif de cette triste affaire. Au lieu d’être écrasées de honte, en apprenant combien des leurs étaient compromis, les hautes classes s’indignèrent contre cette justice égalitaire qui refusait de les ménager. Elles murmurèrent, et, pour une fois, le peuple fut avec elles, car le peuple tenait à ses sorcières. La clameur devint si menaçante, que les rapporteurs de la chambre ardente ne se sentaient plus en sûreté : « — Je sais, écrivait Bussy-Rabutin le 1er avril, la chambre faite pour examiner les empoisonnemens, et je sais de plus que MM. de Bezons et de La Reynie ne vont point de Paris à Vincennes sans escorte des gardes du Roi[1]. » Louis XIV eut plusieurs fois à rendre du courage aux juges, soit en leur commandant de vive voix « de faire une justice exacte, sans aucune distinction de personnes, de condition, ni de sexe[2], » soit en les assurant par lettre officielle « de sa protection[3]. »

Les premières exécutions eurent lieu en février 1679. La fournée d’arrestations, ou de citations à comparaître, qui fit un tel fracas à cause de sa composition aristocratique[4], est du 23 janvier 1680. Il y avait alors quatre mois au moins[5], que deux noms bien connus du Roi avaient frappé ses oreilles pendant qu’il se faisait lire par Louvois les derniers interrogatoires. Qu’est-ce que Mlle des Œillets, ancienne « suivante » de Mme de Montespan, qu’est-ce que Catau, sa femme de chambre,

  1. Lettre au marquis de Trichateau.
  2. Note de La Reynie (21 décembre 1679). Les pièces de l’Affaire des poisons forment 1322 pages gr. in-8o des Archives de la Bastille, et elles ne sont pas complètes. Il y manque tout au moins certaines dépositions particulièrement compromettantes pour Mme de Montespan, et brûlées sur l’ordre de Louis XIV.
  3. Louvois à Boucherat, président de la Chambre, le 4 février 1680.
  4. Elle comprenait : la comtesse de Soissons, la marquise d’Alluye (le Roi les fit sauver), le duc de Luxembourg (victime d’une erreur), la vicomtesse de Polignac, le marquis de Feuquières, la princesse de Tingry, la maréchale de la Ferté, la duchesse de Bouillon, etc.
  5. Cf. Archives de la Bastille, t. V, la « note autographe » de La Reynie, du 17 septembre 1679. Était-ce la première fois que ces deux noms apparaissaient ? Les destructions de pièces ordonnées, par le Roi ne permettent pas de l’affirmer.