Page:Revue des Deux Mondes - 1905 - tome 25.djvu/536

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

non de la sympathie pour cette dernière, il est certain que, sans elle, sans l’empire qu’elle sut prendre sur un prince ardent au plaisir plutôt que véritablement débauché, Louis XIV courait au-devant d’une vieillesse honteuse. A chacun selon ses mérites : la reine Marie-Thérèse était dans le vrai en donnant son amitié à Mme de Maintenon, qui avait obtenu pour elle, sur le tard, des égards, et même des procédés affectueux auxquels la pauvre princesse n’était pas accoutumée.

Quand le Roi eut passé la quarantaine, la tranquillité lui devint un besoin. Il crut s’être assuré la paix en donnant à Mme de Montespan son congé officiel de maîtresse reconnue. On sait la date exacte. Le 29 mars 1679, la comtesse de Soissons fut priée de céder à l’ancienne favorite sa charge de surintendante de la maison de la Reine. C’était une sorte de règlement de retraite. Le lendemain, Mme de Montespan écrivait au duc de Noailles pour lui annoncer cet arrangement, et elle ajoutait : « — Du reste, tout est fort pésible yscy. Le roy ne vient dans ma chambre c’aprest la messe et aprest soupey. Il vaut beaucoup mieus se voir peu avec dousœur, que souvant avec de l’anbaras. » Le monde ne s’y trompa point : « — (11 avril.) Je croirais assez, écrivait Bussy, que le Roi, juste comme il est, a donné cela pour récompense des services passés. » De Mme de Scudéry à Bussy, le 29 octobre 1679 : « — On établit un jeu chez Mme de Montespan pour cet hiver, et pourvu qu’elle puisse se passer d’amour, elle aura de la considération du Roi. C’est tout ce que peut faire un fort honnête homme quand il n’aime plus. » Bussy répondait le, 4 novembre : « — Si Mme de Montespan est sage, elle ne songera qu’au jeu et laissera le Roi en repos sur l’amour ; car enfin on ne fait pas revenir par des plaintes et des tracas les amans infidèles. » Mme de Montespan n’était pas « sage. » Elle redoubla de scènes, dans l’espoir de reprendre le Roi de force. Au même moment, un passé obscur, rempli de choses vagues et effroyables, se dressait contre elle, et l’expiation de l’avoir trop aimée prenait pour Louis XIV un caractère tragique.

On n’a pas oublié[1]la Voisin l’empoisonneuse, ni ce procès de 1668 qui avait révélé au jeune Roi les accointances de sa nouvelle maîtresse dans le monde des malfaiteurs. L’affaire étouffée, le mal reprit sa marche souterraine. Les marchandes de philtres

  1. Voyez la Revue du 15 août 1904.