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car comment le remplacer ? « Tous mes valets n’y entreraient pas pour un million. Ils ont vu que ceux que j’ai mis auprès de M. Foucquet n’en sont jamais sortis. » Louvois ne put jamais savoir, quelque désir qu’il en eût, à quoi songeait dans sa basse-voûte le favori tombé.

Il se dédommageait un peu les jours où Lauzun se mettait en colère, ce qui lui arrivait souvent. Lauzun ne pouvait pas digérer qu’il fût défendu à Saint-Mars de répondre à aucune de ses questions. Passe encore quand il demandait si la France était en guerre ou si Mademoiselle était mariée ; mais pourquoi lui refuser des nouvelles des siens ? pourquoi lui cacher si sa mère était morte ou vivante ? Son chagrin se tournait en fureur. Il laissait échapper un torrent d’imprécations et de plaintes amères, et Louvois avait le plaisir d’apprendre par le courrier suivant que, s’il se taisait d’ordinaire, ce n’était pas du moins faute de souffrir. Un jour (28 janvier 1673), après avoir rapporté l’une de ces explosions, Saint-Mars ajoutait : « Il disait tout cela en pleurant à chaudes larmes, et détestant sa vie malheureuse ; il se récria encore fort sur l’horrible et affreuse prison à basse voûte que je lui ai donnée, où il a perdu les yeux et la santé… » Ces cris de douleur retentissaient jusque dans Paris, en passant par le cabinet de Louvois et la chambre de Mme de Montespan, et le public se demandait avec curiosité ce qu’avait fait M. de Lauzun pour s’attirer un châtiment aussi rigoureux : « Je ne veux jamais ni dire, ni croire, écrivait Mademoiselle, que ce soit par les ordres du Roi. » On comprenait bien que Louvois vengeait ses frayeurs, et Mme de Montespan ses humiliations ; mais encore fallait-il que le Roi les laissât faire, et. le Roi n’avait jamais eu l’air de prendre très à cœur leurs démêlés avec son favori.

Il faut tenir compte que le XVIIe siècle n’avait pas plus de respect pour la liberté que pour la vie humaine. On n’avait de respect que pour le rang et la naissance, et on en avait alors tant que nous n’y comprenons plus rien. Ce même Louvois, qui tourmentait Lauzun à le rendre fou, s’était empressé de lui faire expédier sa vaisselle d’argent, et l’avait invité à lui adresser ses plaintes si son geôlier se montrait impoli : « M. de Saint-Mars, écrivait le ministre, a ordre… de ne manquer jamais envers vous à ce qui est dû à votre naissance et au rang que vous avez tenu à la Cour (12 décembre 1672). » Pareillement, la