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serviteur de Lauzun, qui s’est tué en se voyant pris, et sur lequel on a trouvé des lettres chiffrées. Aurait-il eu quelque « commerce » avec le prisonnier ? Cette pensée jette Louvois dans une agitation inconcevable. Il veut à tout prix tirer la chose au clair et il trouve le temps, en pleine guerre de Hollande, d’écrire lettre sur lettre à Pignerol pour talonner son monde. On a arrêté les complices présumés du mort ; on s’est même fait livrer par voie diplomatique deux d’entre eux qui s’étaient réfugiés à Turin. Il « faut » les faire parler « par tous moyens,… de quelque manière que ce puisse être. » Il « faut… savoir si M. de Lauzun a eu des nouvelles. » Le personnel de Pignerol en est affolé. Un officier écrit à Louvois pour le « conjurer » de lui dénoncer les suspects parmi les soldats sous ses ordres, « afin, lui dit-il, que je les arrête et les attache comme des scélérats. » Et, si les deux neveux qu’il a dans la citadelle se trouvent être les coupables, il « sera leur premier bourreau (10 septembre 1672). » Saint-Mars est humilié et offensé qu’on le soupçonne de s’être laissé berner. Il en devient féroce pour les « misérables » qui lui ont attiré cette insulte, et il les mettrait volontiers à la torture, « car, pour vous dire la vérité, écrit-il à Louvois, je voudrais fort trouver la moindre chose du monde contre un soldat ou un domestique, afin de les faire pendre (20 août). » Quelques semaines plus tard, il résumait en ces termes les résultats de son enquête : « (7 octobre.) Je ne saurais empêcher que l’on ait eu envie d’avoir intelligence avec M. de Lauzun, mais je puis bien répondre sur ma vie que l’on n’en a point eu. »

Saint-Mars eut encore un autre chagrin. Louvois lui recommandait sans cesse de faire jaser son prisonnier et de lui en rapporter toutes les paroles, jusqu’aux plus insignifiantes ; mais Lauzun ne voulait rien dire : « Je ne sais d’où vient, écrivait naïvement Saint-Mars ; il se méfie tant de moi, il n’oserait presque me parler (10 février 1672). » Du 19 mars : « — Il est toujours dans une défiance de moi extraordinaire. » Louvois insistait et recevait des lettres découragées : « (30 mars.) Lorsque je vais lui rendre visite, notre entretien est tellement sec et stérile que nous faisons souvent cent tours de chambre sans nous dire l’un l’autre aucun mot. » Saint-Mars essayait de parler du temps : M. de Lauzun l’interrompait sous prétexte que le temps lui était bien indifférent, puisqu’il ne voyait de sa basse-voûte « ni lune ni soleil. » Saint-Mars s’informait gracieusement de sa