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modèles. Les « cassettes » de M. de Lauzun furent le grand scandale mondain de l’hiver, et il ne manqua pas de gens pour l’exploiter auprès de Mademoiselle. Ils en furent pour leur méchanceté : elle eut la sagesse de ne vouloir rien savoir. C’était le passé.

Les mêmes gens essayèrent de lui ouvrir les yeux sur la duperie d’avoir donné son cœur à un homme qui n’en voulait qu’à ses millions. On lui disait : « Il ne vous aimait point ; quand on lui a promis de lui donner des biens, des charges, il vous a plantée là ; le jour que le Roi rompit votre mariage, il joua tout le soir avec une grande tranquillité ; il ne se souciait point de vous. » Elle convient dans ses Mémoires que l’on finit par se sentir ébranlé, lorsqu’on s’entend répéter de ces choses-là du matin au soir pendant des années. Ses propres souvenirs ne les confirmaient que trop : elle n’avait jamais eu de Lauzun un mot de tendresse ou seulement un mot gracieux. Mais le malheur est une sauvegarde invincible auprès des âmes généreuses. Mademoiselle raconte que son cœur « combattait contre elle-même » en faveur de son ami, et son cœur l’emportait, puisque chaque nouvelle année la retrouvait aussi dévouée que la précédente, aussi infatigable dans ses efforts pour le faire relâcher.

Il ne devait s’en douter qu’au bout de huit ans. Les contemporains ne sont pas arrivés à découvrir, ni personne après eux, pourquoi Louis XIV et Louvois attachaient une importance capitale à empêcher Lauzun d’avoir aucune nouvelle. De quoi avait-on peur ? Il y serait allé du salut de la France que les précautions n’auraient pas été plus minutieuses. Un jour, Lauzun va recevoir son linge, qu’on lui envoie de Saint-Germain. Louvois écrit à Saint-Mars : « (2 février 1672.) Vous le ferez blanchir deux ou trois fois avant de lui donner. » Saint-Mars tient à montrer qu’il a compris et répond : « — (20 février.) Je ne manquerai pas de faire bien mouiller le linge que vous m’enverrez de M. de Lauzun, après l’avoir visité par toutes les coutures ; toute écriture faite sur le linge s’en va quand il est mouillé. Tout celui qui sort de sa chambre… est mis dans un baquet plein d’eau après l’avoir visité, et la blanchisseuse l’apporte venant de la rivière pour le faire sécher au feu devant mes officiers qui en ont le soin tour à tour, toutes les semaines. Je prends cette précaution-là aussi pour les serviettes. »

Une autre fois, on a arrêté près de Pignerol un ancien