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que sa pensée suivait au loin un carrosse enveloppé de mousquetaires : « — De songer qu’il n’y était plus, et qu’il faisait un froid, une neige épouvantables, et qu’il était par les chemins et pour aller en prison, ce qu’il souffrait en cet état, le mien était digne de pitié ; et je crois que ceux qui étaient capables d’en avoir de lui, cela leur en donnait de me voir, et en un lieu où l’on savait bien la peine que j’avais d’y être. Toute la consolation que j’y pouvais trouver, c’est que la continuation des sacrifices que je faisais au Roi sans cesse pourrait, par ma persévérance, attirer sa pitié sur M. de Lauzun et renouveler sa tendresse, ne me pouvant persuader qu’il ne l’aimait plus. J’étais trop heureuse si cela lui pouvait être bon à quelque chose. Voilà le motif qui m’a attachée à la Cour depuis sa prison, qui m’a fait surmonter ma juste douleur pour aller à toutes les choses, où mon devoir et mon inclination m’ont dû empêcher d’aller ; mais ce même devoir qui m’aurait retenue chez moi… m’a fait faire tous les pas que j’ai faits, qui ne convenaient pas à une personne dont le cœur est aussi pénétré qu’est le mien d’une tendre douleur. »

Après chaque effort de ce genre, elle s’accordait un peu de relâche pour pleurer dans son coin, puis elle revenait montrer à Louis XIV ses yeux rougis : « Je suis persuadée, écrivait-elle à propos d’un voyage avec la cour, que ma présence a fait souvenir de M. de Lauzun ; c’est pourquoi je voudrais être toujours devant les yeux (du Roi)… Je ne puis croire qu’il ne prenne toujours mes regards pour des supplications en sa faveur. » Elle s’ingéniait à lui rappeler l’absent. Passait-on devant une fenêtre grillée, Mademoiselle se mettait à plaindre les gens en prison. Apprenait-on que Lauzun avait été malade, elle sollicitait par lettre l’adoucissement de son régime. Louis XIV ne répondait jamais rien, mais il ne témoignait pas de mécontentement.

Les ennemis du disgracié travaillaient à détacher Mademoiselle de lui. Ils savaient son point faible ; elle était atrocement jalouse, et il ne fallait pas l’être avec Lauzun, le plus grand coureur de cette cour licencieuse. Au moment de son arrestation, ses papiers avaient été saisis. On y avait trouvé force lettres de femmes, des mèches de cheveux et autres gages amoureux, soigneusement étiquetés, et une espèce de musée secret renfermant des portraits que Louis XIV fit détruire, pas assez vite toutefois ; ils avaient été vus de plusieurs personnes, qui nommèrent les