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l’appartement de M. de Lauzun ; il vous dira, Monseigneur, que je le logerai dans les deux chambres basses qui sont au-dessous de M. Foucquet ; ce sont celles où vous vîtes[1]les fenêtres grillées en dedans de grosses barres de fer ; de la manière que j’ai ordonné de faire en ce lieu-là, je vous réponds sur ma vie de la sûreté de la personne de M. de Lauzun, comme aussi de toutes les nouvelles qu’il pourrait donner ou recevoir. Je vous engage mon honneur, Monseigneur, que vous n’entendrez jamais parler de lui tant qu’il sera sous ma garde… il sera comme s’il était in pace… Le lieu que je lui fais préparer est tourné de manière que je ne puis y faire faire de trous pour le voir dans ses appartemens. Je prétends savoir tout ce qu’il fera et dira, jusqu’à la moindre chose, par le moyen d’un valet que je lui donnerai, ainsi que vous me l’ordonnez ; j’en ai trouvé un avec beaucoup de peine, et ce sont ces sortes de gens-là qui m’en donnent plus que tout le reste, parce qu’ils ne veulent point demeurer toute leur vie en prison… Vous m’ordonnez de ne faire dire la messe à M. de Lauzun que les fêtes et dimanches ; je m’attacherai fort régulièrement au pied de la lettre… Le confesseur de M. Foucquet le confessera à Pâques et pas davantage, quoi qu’il puisse arriver. Je n’ai d’autre pensée qu’à bien exécuter l’honneur de vos ordres ; je m’y attacherai toute ma vie avec tant de zèle, de passion et de fidélité, que j’espère que vous serez content de mes petits services[2]. »

Toutes les autorités de la citadelle avaient écrit à Louvois après l’arrivée de son agent, tant ses instructions avaient fait d’impression sur le personnel. On se disait qu’il fallait que ce M. de Lauzun fût un bien grand coupable, et un homme bien dangereux, pour nécessiter de pareilles précautions. Chacun tenant à montrer son zèle, Louis XIV fut abondamment renseigné sur le cachot destiné à son ancien favori. Louvois lui en montra le plan, qu’il venait de recevoir. C’était une « basse-voûte, » formant deux pièces, et donnant sur une cour déserte où personne ne passait jamais. Les fenêtres, obscurcies par leurs barreaux de fer et par des branches d’arbres, étaient munies de ces

  1. Louvois était venu l’année précédente visiter Pignerol.
  2. Les pièces citées dans ce chapitre, et dans le suivant, sur la captivité de Lauzun, sont en partie inédites et tirées des Archives du ministère de la Guerre, en partie empruntées aux Archives de la Bastille, de M. Ravaisson. Voir aussi un recueil de documens historiques : Histoire de la détention des philosophes, etc., par J. Delort ; Paris, 1829. Didot.