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perdez les deux mains, servez-vous de vos pieds. Si vous perdez les deux pieds, agissez avec votre tête et accomplissez loyalement les ordres de votre chef. Je vous envoie à la mort et je ne doute pas un instant que vous ne soyez prêts à mourir. Cependant je ne veux pas dire que vous devez mépriser votre vie et que vous avez le droit de braver le danger sans raison sérieuse ou uniquement pour la gloire de votre nom. Ce que je vous demande, c’est d’accomplir votre devoir sans tenir compte de votre vie. La coupe d’eau pure que nous buvons ensemble n’a pas pour but de vous donner un encouragement : vous n’en avez pas besoin, elle vous sacre comme les représentans de la bravoure de l’équipage de l’Asama. Maintenant je veux penser au jour heureux où peut-être, après leur succès, je reverrai certains d’entre vous. Soumettez votre vie à la volonté des cieux et accomplissez avec calme votre tragique devoir. »

On se rappelle ce qu’il advint. Le 22 février, sous un feu terrible, les cinq vaisseaux se dirigèrent à toute vapeur sur l’entrée de Port-Arthur. Ils furent coulés ou se firent sauter. La tentative fut néanmoins reprise de la même manière le 3 mai avec un résultat semblable. Les actions héroïques, soigneusement recueillies, servent ainsi à l’éducation de la jeunesse. Elles se répandent aussi bien par le livre que par l’image. La nation tout entière travaille ainsi au développement de l’intrépidité de la race. Nous pouvons constater les résultats obtenus.

Il ne faut pas perdre de vue que des races, jadis braves, peuvent devenir faibles et pusillanimes, lorsque l’éducation, au lieu d’exalter le patriotisme, s’efforce de le détruire. Alors l’homme se laisse aller à la dégradation morale de la paix à tout prix, à la conception du bonheur dans la réalisation d’une vie d’aise fainéante ; il tombe dans la lâcheté ; il est perdu. La nature prévoyante, qui sait sélectionner les espèces, condamne le lâche sans miséricorde. Pour atteindre son but, elle a voulu que celui dont le cœur faiblit ne pût pas se défendre. La terreur paralyse ses mouvemens et le met à la merci de son ennemi. « Les armes leur tombèrent des mains, » dit Polybe, en parlant des Romains qui, pris de terreur à la bataille de Cannes, se laissèrent égorger par milliers sans se défendre.

« La peur conduit sûrement à la destruction de l’espèce, » dit le docteur Mosso, l’éminent physiologiste italien. Il établit que