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et devenu inconscient, imite éperdument ce que fait son voisin. Le phénomène est des plus contagieux, et l’on a vu souvent des hommes connus pour leur bravoure s’y laisser entraîner. Lorsque la panique est déchaînée, il devient impossible de la contenir. Tous les efforts sont vains. Les plus énergiques s’y épuisent. Les résistances quelles qu’elles soient sont emportées. La fusillade, le canon même sont incapables d’arrêter le mouvement éperdu d’une foule dans cet état. Ce sont là des faits avérés, et il est clair que des régimens, dont la masse est composée d’hommes venant de tous côtés et ne se connaissant pas, forment une foule et en présentent les dangers.

A ceci, les optimistes répondent que, sous ce rapport, l’Allemagne est dans une situation analogue.

Ceux qui n’ont pas étudié l’organisation de nos voisins, se figurent que leurs institutions militaires sont les mêmes que les nôtres. C’est là une erreur absolue. L’armée de premier choc ne comporte que les plus jeunes classes. Il est même possible que les forces destinées à faire subitement irruption sur notre territoire ne contiennent pas de réservistes. En voici la preuve : le bataillon d’infanterie à la frontière est à l’effectif de 640 combattans. Lorsqu’un homme disparaît, il est remplacé par les « überzählige » (hommes en surnombre du recrutement). D’autre part, il ne faut pas oublier que le recrutement est régional ; aussi en appelant la classe disponible (3e classe de l’infanterie), soit 267 hommes par bataillon, l’effectif se trouve porté à 907 hommes. Les disponibles rentrent dans leurs compagnies pour y prendre la place qu’ils viennent de quitter. Ils sont encore entraînés et n’ont rien oublié ; les cadres les connaissent, et, comme ils viennent de passer deux ans avec eux, la cohésion est complète. On voit donc que sur ce point essentiel notre organisation n’a aucun rapport avec celle de l’Allemagne.

Les législateurs, hantés par la folie du nombre, n’ayant pas vécu dans le rang, ne comprennent pas cette nécessité. Ils se figurent qu’en réunissant 3 000 hommes instruits et en leur donnant le même uniforme, ils auront formé un régiment.

La masse de la nation a le sentiment confus de cette erreur. Elle l’exprime en disant : « Si nous sommes victorieux dans la première bataille, tout ira bien. » Elle a donc l’intuition que la force morale préalable n’existe pas et que la victoire seule peut la produire. Est-il donc admissible que notre organisation ne