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soumis aux plus dures épreuves physiques : fatigues, intempéries, privations. Rappelons-nous ce qui s’est passé en. 1870 lorsque nos régimens furent complétés par des réservistes. M. le médecin inspecteur Kelsch a constaté que vingt jours de campagne suffirent pour éliminer les deux cinquièmes de l’effectif des corps d’armée, et cela se produisit avant que nos troupes n’eussent une seule fois combattu.

Disons-le donc bien haut : le manque d’entraînement pour les troupes de campagne amène les conséquences les plus funestes, quelle que soit leur bonne volonté. La fatigue engendre dans l’organisme, pendant toute la durée du travail, des matières de rebut, des scories pour ainsi dire, qui sont toxiques. La chimie moderne a isolé certaines de ces substances. Elle leur a donné le nom de leucomaïnes et a fixé leurs propriétés nocives. Dans l’état normal, elles sont brûlées au moyen de l’oxygène du sang, détruites dans le foie ou éliminées par les reins. Dans la grande fatigue où leur quantité dépasse la limite physiologique, l’homme est empoisonné et déprimé. Là se trouve le plus souvent l’origine des épidémies qui apparaissent subitement dans les troupes en campagne, fièvre typhoïde, typhus des armées, variole noire, fièvre dengue, etc.

Il faut se rappeler que le travail industriel, comme le travail des champs, exerce principalement les bras ; et, d’autre part, à mesure que la civilisation se développe, l’aptitude à la marche diminue. Or, c’est précisément à cette aptitude que la guerre fait immédiatement appel. Ceci ne s’applique qu’à l’infanterie, dira-t-on. Le cavalier et l’artilleur n’ont pas besoin d’entraînement. C’est une erreur. Mais ne nous occupons que de l’infanterie. Seule d’ailleurs elle doit être en cause, parce que le moral d’une armée est toujours celui de son infanterie.

La fatigue produit des désordres généraux. L’épuisement du corps ne croît pas en proportion directe du travail effectif. Il a été physiologiquement démontré qu’un travail effectué par des muscles déjà fatigués, agit d’une manière plus nuisible qu’un travail beaucoup plus grand accompli dans des conditions normales. Aussi lorsqu’une troupe est déjà fatiguée, il suffit d’exiger d’elle un nouvel effort pour annihiler pendant un temps, quelquefois fort long, une très grosse partie de son effectif. Tous les chefs ayant vécu avec leurs soldats connaissent ce principe. En regardant défiler leur troupe et en examinant