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au combat, avant d’avoir eu le temps d’inspirer confiance et dévouement. Certes, si les officiers pouvaient disposer de quelques semaines avant de mener au feu les réservistes, il n’est pas douteux que les sentimens d’honneur et de bravoure, qui existent au fond du cœur de notre race, reprendraient le dessus. Malheureusement notre organisation actuelle ne le permet pas. Aussitôt appelés, les réservistes seront mis en chemin de fer et menés à l’ennemi. Ce sont là de très mauvaises conditions. Heureusement pour eux, ni les Russes ni les Japonais n’en ont ressenti les effets. Avant les premiers engagemens, les deux belligérans ont disposé de plus de deux mois et demi pour mettre en mouvement leurs troupes ; moins favorisés, nous n’aurons que quelques jours, passés dans une agitation extrême.

Nous devons donc prévoir que, sous le rapport du moral, les débuts d’une mobilisation seront fort difficiles. En ce moment, en pleine paix, les meneurs révolutionnaires traiteront certainement ces considérations d’imputations calomnieuses. Ils n’osent pas encore faire l’étalage de leur haine du patriotisme et, d’après eux, personne n’est autorisé à prétendre que les « compagnons » rejoindront les régimens avec des cœurs démoralisés. Soit : admettons que tous les réservistes arrivent dans un état moral parfait, avec la ferme résolution de vaincre ou de périr. Ce sera-t-il suffisant ? Aurons-nous alors les troupes solides que nous voulons organiser ? Nos cadres sont excellens, c’est entendu. Mais les réservistes ? Comment vont-ils pouvoir supporter les fatigues sans aucun entraînement préalable ? Ils ne peuvent en avoir aucun. Et nous voici en présence de cette loi brutale : « la grande fatigue amène forcément l’effondrement des forces morales. » Quelques développemens sont ici nécessaires.

A notre époque, la population des villes s’accroît au détriment des campagnes. Au point de vue militaire, il faut le regretter, car ce sont les populations rurales qui de tout temps ont donné aux armées leurs meilleurs élémens. La vie dans les villes et dans les établissemens industriels a pour effet de diminuer l’aptitude physique au service de guerre. Cette vérité n’a pas besoin d’être démontrée. Voici des artisans, des employés de toute sorte, des ouvriers de tous les corps de métier. Dans la vie civile, ils ne marchent presque pas, et n’ont jamais rien à porter sur leur dos. Ils se nourrissent à leur guise, et mangent à leur faim. Soudain, sans aucune période transitoire, ils vont être