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régimens l’esprit qui les anime au moment de la mobilisation. Il serait donc tout d’abord indispensable que la nation ne mît à la disposition des « cadres » que des hommes au cœur solide, pénétrés du sentiment du devoir jusqu’à l’abnégation, prêts à tout moment à suivre aveuglément leurs chefs.

Ce point de vue soulève des questions sérieuses, mais qu’on semble avoir intentionnellement négligé d’étudier. Et, en effet, elles sont gênantes, car elles touchent à l’organisation politique. Cependant, faute d’avoir créé d’avance dans la nation l’état moral indispensable, il faut reconnaître que tous les sacrifices consentis jusqu’à ce jour, depuis trente ans, pourraient être perdus. L’évolution sociale qui se prépare, et au milieu de laquelle nous vivons déjà, rend le problème plus inquiétant. Il est assurément trop complexe pour pouvoir être traité en quelques pages. Dans celles qui suivent on se propose seulement de montrer que notre système militaire, aussi bien que celui du service de deux ans, résultat de transformations successives imposées par l’état politique, ne convient ni à la situation morale, ni à la situation économique de la nation.

Le moral des troupes dépend de leur volonté de vaincre à tout prix, de leur confiance en elles-mêmes et dans leurs chefs. Il dépend aussi de leur état physique. La volonté de vaincre est donnée par le patriotisme, et résulte d’une longue éducation morale, fondée sur les traditions de la race, et qui trouve dans la profondeur de l’instinct héréditaire un terrain de culture favorable. Pas plus que cette éducation, la confiance ne peut s’improviser. Elle ne s’acquiert que par la vie en commun continuée pendant un certain temps. Alors soldats et chefs se connaissent, s’estiment, et, passant par les mêmes périls, ou les mêmes vicissitudes, ils se comprennent et sont prêts à se dévouer les uns pour les autres. Ces conditions ne peuvent se réaliser complètement que dans des troupes maintenues en tout temps sur un pied voisin de l’effectif de guerre : tels les tirailleurs algériens, la légion étrangère ; encore faut-il que le renouvellement annuel ne dépasse pas le quart des combattans. En outre (les cadres, résultat d’une sélection attentive, étant exceptés), la proportion des vieux soldats dans le rang doit être très faible. Quelle que soit en effet la beauté de la légende qui entoure d’une auréole les vieux guerriers, il faut reconnaître qu’au feu ils ne valent plus les jeunes, dès que ceux-ci, ayant été