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à beaucoup de monde. On le croyait du moins, sans tenir assez grand compte de ce que la situation actuelle a de net et de tranché. Elle est trop tendue pour s’accommoder aux demi-mesures : il faut être ministériel ou anti-ministériel, tout l’un ou tout l’autre. M. l’amiral Bienaimé a donné pleine satisfaction à ce besoin de clarté. En votant pour lui, on savait qu’on votait contre M. Combes, et aussi contre M. Pelletan dont il venait d’être la victime. Poursuivi, traqué, disgracié par M. le ministre de la Marine, M. l’amiral Bienaimé avait dû prendre sa retraite ; mais en même temps, il avait repris sa liberté. Il ne faut pas voir en lui l’homme politique, sinon il serait assez difficile de le classer. Au cours de sa campagne électorale, ce marin un peu désorienté sur la terre ferme a évolué entre M. Ribot et M. Henri Rochefort. Il a paru finalement accepter la protection de ce dernier et suivre les conseils de M. Marcel Habert, revenu de Saint-Sébastien. C’est beaucoup d’éclectisme ! M. l’amiral Bienaimé sera sans doute amené par la suite à faire un choix plus précis ; mais hier il était simplement un drapeau. L’hostilité que M. Pelletan lui avait témoignée, et qui s’est maintenue pendant toute la campagne électorale, déterminait le caractère de sa candidature. Les électeurs du IIe arrondissement avaient à prendre parti, un peu entre deux hommes dont un était ministre, mais surtout pour ou contre une politique, car il n’y en avait pas deux en présence : il n’y en avait qu’une, celle de M. Combes. A proprement parler, M. l’amiral Bienaimé n’en avait pas. Le scrutin a été une éclatante victoire pour l’opposition qui, à son tour, a formé un bloc contre le gouvernement. M. l’amiral Bienaimé a eu, en chiffres ronds, un millier de voix de majorité, c’est-à-dire, à peu de chose près, ce que M. Syveton avait eu lui-même lorsque, après son invalidation par la Chambre, il avait dû se soumettre à une nouvelle élection au mois de juin 1903. Quelque travaillé qu’il ait été par les influences gouvernementales, le Ile arrondissement de Paris n’a pas bronché ; il est resté fidèle à lui-même. La victoire de M. l’amiral Bienaimé a donc été un coup direct contre le cabinet tout entier à travers la personne de M. Pelletan. Quelle joie, quel orgueil, quelle confiance n’y aurait-il pas eu dans le clan ministériel si M. Bellan l’avait emporté ! Les sentimens éprouvés y ont été tout l’opposé, et c’est à cela qu’il faut mesurer l’avantage que l’opposition a obtenu de haute lutte. Ce premier avantage n’a, toutefois, qu’un intérêt secondaire à côté de l’élection de M. Doumer. Depuis que, revenu de son gouvernement de l’Indo-Chine, il est rentré à la Chambre, M. Doumer a vivement attiré l’attention à lui. Loin de s’y dérober, il n’a négligé aucune occasion de