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ses « aventures » aient fini par « mal tourner, » ni qu’elle ait jamais connu le manque d’argent ou le discrédit : on nous dit même que, de plus en plus, ses concitoyens et les étrangers se sont plu à l’entourer d’égards respectueux, qui nous prouvent bien, eux aussi, l’exagération des griefs allégués contre elle par les chroniqueurs. Mais elle avait toujours adoré ses enfans ; et c’est dans ses enfans qu’elle fut frappée, Une de ses filles devint folle, dans un couvent où elle s’était enfermée. Une autre, veuve d’un comte Koffeni, — qui l’avait battue, ruinée, et abandonnée, — épousa ensuite un grand seigneur anglais, le duc de Shrewsbury, et, en conséquence, dut abjurer le catholicisme : ce qui remplit de tristesse le cœur pieux de sa mère. El plus cruellement encore Christine eut à souffrir des folies et des crimes de son plus jeune fils, Ferdinand, son préféré : un abominable drôle qui, chassé d’Italie, honteusement congédié de l’armée impériale, fut enfin condamné à mort et exécuté, en 1718, à Londres, pour avoir tué un de ses domestiques.

La nouvelle de cet horrible drame paraît avoir achevé la marquise Christine : elle est morte quelques mois après, le 2 février 1719. Mais depuis longtemps déjà, — en fait, depuis le mariage de sa fille Diane, — 1’ « aventurière » avait détaché son âme des intrigues terrestres. Et si le témoignage unanime de ses contemporains ne nous apprenait pas dans quels sentimens elle avait vécu depuis lors, nous le saurions par deux sonnets qu’elle nous a laissés, publiés dans un recueil bolonais de 1711. D’une forme moins pure que les quatre sonnets amoureux, ces pièces ont le même accent de sincérité, la même allure à la fois élégante et familière ; elles nous font voir, de la même façon, une âme féminine accoutumée à épancher librement ses plus intimes pensées. Voici l’une d’elles :


Lorsque, parmi ces myrtes el ces lauriers, je respire dans la paix el le cher silence, au pied du hêtre, ou à l’ombre du sapin, je revois et j’abhorre mes erreurs passées.

Mais d’avoir perdu les fleurs de mon âge, je n’en ai plus nul regret, et mes désirs sont pour toujours calmés. Tout mon plaisir est déjà plongé dans l’oubli ; éteintes à jamais mes joueuses ardeurs.

A présent je n’aime plus que mon désabusement (Or amo solo il disinganno mio) ; et le peu de temps qui me reste sur terre, en larmes je le consacre à toi, mon Dieu !

Afin que, les ennemis de mon salut étant écartés, et vaincu mon désir fallacieux et coupable, tu daignes m’entr’ouvrir les portes du Ciel !


T. DE WVZEWA.