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productions les plus audacieuses, il savait, en les appréciant, faire à la fois la part de l’éloge et de la critique. « Ce ne sont que des visions, disait-il, et cependant c’est de l’art. » Sur ses propres ouvrages il s’exprimait avec autant de modestie que de bon sens.

Les maîtres du paysage avaient été naturellement de sa part l’objet d’une étude spéciale et déjà, en 1833, il avait, à Hampstead, commencé sur eux une série de conférences qu’il reprit, en 1836, à la Royal Institution. Ces conférences ne furent jamais écrites, ni publiées, et elles ne nous sont connues que par des notes ou des souvenirs recueillis par Leslie dans ses Mémoires. Ceux qui les avaient entendues s’accordaient pour attribuer à Constable une grande facilité de parole et une remarquable justesse d’appréciation. Il souhaitait que « le goût des amateurs ne fût pas seulement formé dans les musées et les collections, mais qu’il fût soutenu et éclairé par un amour profond de la nature. Ceux-là seuls qui réunissent à cet amour une culture intelligente sont, à son avis, capables de discerner l’originalité des artistes. » Le maniérisme viciait pour lui les qualités les plus rares et il mettait la sincérité bien au-dessus de l’habileté. Il avait horreur des virtuoses, et c’est à cette disposition d’esprit qu’il faut attribuer la sévérité excessive avec laquelle il a parlé de paysagistes d’un talent très réel, comme Both et Wouwermans, mais dont la facilité parfois un peu banale lui était antipathique. Il était même tout à fait injuste pour Berchem, qu’il trouvait absolument dépourvu de sentiment poétique, et Von raconte qu’à la suite d’une leçon où il avait assez rudement malmené l’artiste hollandais, un de ses auditeurs, possesseur de plusieurs tableaux de Berchem, lui ayant demandé, d’un air mélancolique, s’il ne serait pas à propos de les vendre : « Non, il vaut mieux les brûler, » aurait répondu Constable. Mais sauf cette boutade, où dans un accès de vivacité il épanchait sa mauvaise humeur, ses appréciations étaient, d’habitude, surtout élogieuses. Il plaçait Giorgione et Titien au nombre des plus grands paysagistes, pour l’intelligence avec laquelle ils ont les premiers mis en œuvre toutes les ressources de l’art de peindre, et il trouvait que, dans aucun des genres où il a excellé, Rubens n’a un mérite supérieur à celui de ses paysages. C’est « le peintre de la santé, de la lumière franche et des saisons robustes. » L’Arc-en-ciel de Rubens, le Déluge de Poussin, le Buisson de Ruysdaél et le Moulin de Rembrandt étaient ses chefs-d’œuvre préférés ; mais il