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convenait à ses goûts. Mais ce bonheur trop complet ne devait pas être de longue durée. La santé de sa femme, qui déclinait depuis plusieurs années, avait motivé des séjours successifs de la famille au bord de la mer, à Brighton, où d’ailleurs Constable avait beaucoup travaillé. Fort éprouvée par ses dernières couches, la malade mourait de consomption le 23 novembre de cette même année 1828.

L’artiste ressentit si profondément la perte de cette compagne tendrement aimée qu’il en resta d’abord comme écrasé. Quelques mois après, il écrivait à un ami : « Je m’efforce en vain de me remettre au travail pour tâcher d’échapper à moi-même. » Quand, en février 1829, il fut enfin nommé membre de la Royal Academy, à laquelle il était associé depuis dix ans, il demeura presque insensible à cet honneur. Pensant à tout le plaisir que cette élection aurait causé à sa femme, il répondait tristement à ceux qui le félicitaient : « Ils ont attendu que je fusse seul pour me nommer. » Le peu de considération qu’on avait alors en Angleterre pour la peinture de paysage était sans doute cause de cette tardive nomination et, comme pour faire mieux sentir à son nouveau confrère tout le prix de l’honneur qu’il avait reçu, Lawrence lui disait assez brutalement « qu’il avait quelque droit d’être fier d’avoir été élu, alors que tant de peintres d’histoire éminens figuraient comme lui sur la liste des candidats. »

Avec le temps, le pauvre veuf avait repris ses pinceaux et cherché dans l’exercice de son art la seule diversion que pût accepter son chagrin. L’amour passionné qu’il avait conservé pour la nature l’aidait à endormir sa peine. Il ne cessait pas de l’observer dans ses promenades solitaires et de suivre les transformations qu’amène chez elle le cours de l’année. Le printemps était resté sa saison préférée, à cause de la variété et de la finesse de ses teintes, de la délicatesse de ses harmonies. Mais l’hiver même était pour lui plein de charme ; parmi les campagnes mornes et silencieuses, il se plaisait à étudier la structure plus apparente de la terre dépouillée, la silhouette plus précise des arbres, la disposition des branches particulière à chaque essence et la physionomie individuelle propre à chacun d’eux. Avec l’infinie diversité que lui offraient ces études, l’ordre, la régularité, la grandeur de la création le frappaient de plus en plus. Il s’attachait à mettre en lumière les lois qui la régissent. Dans ses tableaux, le géologue ne trouverait pas plus à reprendre à la